Brad Pitt dans F1
Warner Bros.

En plongeant une star vieillissante (Brad Pitt) dans un tourbillon supersonique, Joseph Kosinski applique la recette de Top Gun : Maverick à la F1 et signe un blockbuster aux grosses ficelles scénaristiques, mais vraiment grisant.

La facilité avec laquelle ce film vous cloue à votre fauteuil est phénoménale. Ça commence par l’image d’un océan dans le soleil couchant, histoire qu’on comprenne tout de suite qu’on est bien chez Jerry Bruckheimer, producteur-superstar des années 80 récemment regonflé à bloc par le carton de Top Gun : Maverick. Mais la carte postale eighties est vite piratée par le plan d’une route vue depuis le cockpit d’une Formule 1, façon VHS fatiguée, comme un mauvais souvenir qui aurait été recraché par un vieux magnétoscope. Puis Brad Pitt ouvre les yeux…

Ce n’était qu’un rêve. Des moteurs grondent au loin, les 24 heures de Daytona font rage, Pitt a une course à gagner. Il émerge du mini van qui lui tient lieu de domicile ambulant, en une succession rapide de gros plans décrivant sa routine de cow-boy cabossé – pas très loin du Cliff Booth de Once upon a time… in Hollywood. Il embarque ensuite dans sa bagnole, et nous avec lui. Le riff de "Whole Lotta Love" de Led Zeppelin résonne : choix ultra-rebattu, certes, mais qui dit bien où se situe l’ambition de F1 le film : il ne s’agira pas ici de surprendre qui que ce soit, au contraire, seulement d’envoyer des rushs d’adrénaline savamment dosés, au bon moment. Pitt appuie sur l’accélérateur et le réalisateur Joseph Kosinski redéploye alors instantanément la formule magique des scènes d’avion de Top Gun : Maverick. Cette sensation d’être dans la course, la lisibilité parfaite de la géométrie et des enjeux, le ballet enivrant des stimuli audiovisuels qu’il faut enregistrer et recomposer à toute allure… Le tout porté par la coolitude suprême de l’homme au volant. En dix minutes à peine, le film a gagné la partie – du moins pour ceux qui sont sensibles à ce mélange de mythologie américaine un peu fanée et d’excitation cinétique primale.

F1
Warner Bros.

Dès lors, on pardonnera beaucoup à F1. Son scénario, par exemple, qui semble avoir été écrit à la va-vite sur un coin du bureau de Bruckheimer, après un meeting au sommet avec Lewis Hamilton (septuple champion du monde de Formule 1, producteur et guest de luxe du film, qui à 40 ans voit s’approcher l’heure de la reconversion professionnelle) et les responsables de la division cinéma d’Apple – la firme de Tim Cook a investi dit-on plus de 200 millions de dollars dans ce blockbuster aux enjeux industriels énormes, surfant sur l’engouement assez récent du grand public US pour la F1, lui-même boosté par la série documentaire Netflix Drive to survive.

Entre deux séquences de courses ultra-grisantes, tournées au cœur de vrais grands prix, de Spa-Francorchamps à Abou Dabi en passant par Las Vegas, il s’agira donc pour F1 de slalomer 2h35 durant entre les archétypes usés, au fil d’un film à la fois véloce et lourdaud. Pitt joue Sonny Hayes (ce nom !), ancien enfant prodige de la F1 dont la carrière s’est crashée dans les années 90, mais qui est resté accro à la vitesse, et qui va être appelé à la rescousse par un vieux copain (Javier Bardem) dont l’écurie de F1 est au plus mal. Sonny Hayes peut-il retrouver son mojo la soixantaine passée et venir rivaliser avec Max Verstappen et Charles Leclerc sur leur propre terrain ? Finira-t-il par s’entendre avec le jeune chien fou (Damson Idris) qui lui tient lieu de coéquipier ? La directrice technique (Kerry Condon) fera-telle une entorse à son professionnalisme en succombant au charme de Sonny (qui a l’habitude de prendre des bains d’eau glacée entre deux tours de chauffe) ? L’actionnaire faux-derche aux dents qui rayent le parquet (Tobias Menzies) endossera-t-il le rôle du méchant lors du troisième acte ?

F1
Warner

Tout ça est cousu de fil blanc. Mais c’est l’idée. Le film procure le même genre de plaisir naïf que la lecture des Michel Vaillant de l’âge d’or – pimpé par un arsenal technologique dernier cri. Kosinski joue de la friction entre le passé et le présent exactement comme il le faisait dans Top Gun : Maverick : en plaçant le corps d’une star vieillissante au centre d’un tourbillon supersonique, puis en regardant leur collision faire des étincelles. Et en se demandant au passage ce que les idoles ciné des années 80-90 sont prêtes à laisser aux jeunes pousses qui rêvent de prendre leur place (spoiler : des miettes).

Brad Pitt n’avait jamais autant joué sur son âge que dans ce film, et exploite à fond son côté terrien, costaud, yankee nourri au grain, un peu macho sur les bords – très Steve McQueen, entre Le Mans (évidemment) et Junior Bonner (pour le côté "dernier rodéo"). Loin de l’aura d’irréalité et la fragilité qui a toujours infusé ses plus grands rôles, de Fight Club à Babylon, il apparaît plus rayonnant, frimeur et conquérant que jamais. Mais Brad Pitt n’est pas Tom Cruise, et même dans un éloge publicitaire de la compétition et de la win tapissé de placements de produits, il se débrouille pour qu’on comprenne que quelque chose d’autre se joue en sourdine. Une angoisse de la mort et du déraillement existentiel ; la promesse d’une extase mystique et indicible, à éprouver juste avant de franchir la ligne d’arrivée. Si on pardonne beaucoup de choses à ce film, c’est aussi grâce à lui.

F1 le film, de Joseph Kosinski, avec Brad Pitt, Damson Idris, Kerry Condon… Au cinéma le 25 juin.