Partir un jour
Pathé Films

Au cinéma et sur les plateformes, les personnages de chefs se propagent et règnent derrière les fourneaux. Rockstars modernes, les chefs inspirent les cinéastes, comme Amélie Bonnin qui a ouvert le Festival de Cannes avec  Partir un jour. 

Après le succès des émissions Top Chef à la télé, Disney+ ouvre une brèche avec The Bear, en 2022. La série sur la haute gastronomie transforme immédiatement Jeremy Allen White en coqueluche hollywoodienne. Dans la peau du chef Carmy, le comédien apparaît obsédé par le labeur et ses ambitions personnelles. Un pied dans l’urgence, l’autre dans le chaos, il semble né pour incarner ce personnage sous pression, qui joue sa réputation à chaque plat. Résultats ? 3 Golden Globes, 6 Emmy Awards et une quatrième saison sur le feu. 

Assiettes minutieusement dressées, cuissons millimétrées, vaisselle raffinée… La cuisine est un métier très visuel, donc on peut le filmer” explique la cinéaste Amélie Bonnin. Mais derrière ces plans esthétiques résolument cinématographiques, la haute gastronomie semble être devenue un arc narratif redoutable, à la fois source de conflit, de communion et de défi éreintant. 

En début d’année, L’amour au présent mettait en scène la passion insatiable d’une cheffe avide de réussite, percutée par la maladie. Le discret The Grill illustrait l’ébullition en cuisine dans un noir et blanc somptueux, avant la Réparation de Régis Wargnier, tout juste sorti en salles. Si le cinéma multiplie l’apparition des héros coiffés d’une toque, le petit écran français apporte sa contribution au menu. On n’a jamais le monopole d’un bon genre, d’un bon sujet ou d’un bon personnage. C’est presque plutôt rassurant de voir qu’on n’est pas les seuls à vouloir mettre en scène des chefs”, déclare Martin Bourboulon qui vient de poser ses caméras en cuisine pour sa nouvelle série Carême, actuellement disponible sur AppleTV+. 

Careme Apple
Apple

Un métier cinématographique 

Cette année, le festival de Cannes nous invite aussi à dévorer le jeu de Juliette Armanet dans Partir un jour, qui a ouvert cette 78e édition. Dans ce premier long-métrage enchanté d’Amelie Bonnin, la chanteuse se mue en gagnante de Top Chef, rattrapée par ses racines familiales dans un relais routier du Loir-et-cher. Loin du prestige du nouveau restaurant gastronomique qu’elle est en train d’ouvrir à Paris, la star culinaire renoue avec un passé douloureux et la cuisine du terroir. 

Si Partir un jour est avant tout un film qui parle de la persistance du souvenir, et de sa beauté, il témoigne aussi de la réalité du métier d’une femme cheffe de notre époque. “C’est cette dimension-là qui m’intéressait : ce serait quoi une femme cheffe, de 40 ans, aujourd’hui, à Paris ? Comment elle constituerait son équipe ? Comment elle parlerait aux gens ? Il y a une rigueur, une précision dans le travail qui sont indispensables à un certain niveau de gastronomie mais il y a une douceur et un respect indéniables. C’est ce que j’avais envie de filmer” révèle Amélie Bonnin. Avec son tablier, le personnage de Juliette Armanet s’impose donc comme une machine, avec un rythme et des gestes précis, dans une brigade qui est constituée majoritairement de femmes. 

Pour son premier long-métrage, Urchin, Harris Dickinson imagine un héros en pleine rédemption. Toxicomane et criminel multirécidiviste, Mike quitte ses barreaux pour les fourneaux et fait du métier de chef, le miracle de la seconde chance. L’occasion d’apprendre la discipline, la précision et même la soumission, dans une lutte éperdue de satisfaction de la clientèle. Si le restaurant dans lequel est propulsé Mike n’a rien de l’hôtel de The White Lotus, cette reconversion en chef a tout d’une ascension sociale exemplaire dans une époque survoltée. Pourtant, comme le rappelle Amélie Bonnin, “c’était un métier qui avait tout pour être une voie de garage, pour les enfants qui n’étaient pas bons à l’école. À l’époque, il y avait une opposition entre les milieux intellectuels et manuels qui pour moi n’a jamais fait sens. Maintenant, on nous dit que ça peut être aussi glamour d’exercer ce métier.

Partir un jour
Manou Milon

Les chefs, ces rockstars des fourneaux

De son côté, Martin Bourboulon fait un saut dans l’ère napoléonienne pour ressusciter le chef Antonin Carême. Habitué des films d’époque, le réalisateur a pris soin de déguiser Benjamin Voisin en cuisinier rock’n’roll qui déambule en cuisine, avec ses yeux d’enfant. Comme s’il arrivait dans un magasin de jouets, la caméra slalome entre les différentes étapes de préparation. Avec ses plans de caméras en grue, Martin Bourboulon concocte un récit épique en montrant toute l’ébullition qui se propage en cuisine, pour refléter ce qu’il s’y passe réellement. Avec sa carte « sex, food and politic », le cinéaste trouve la bonne recette pour mettre en scène le destin du premier chef célèbre, mais surtout de reconstituer le Paris de Bonaparte de manière spectaculaire.

Par extension, la télé-réalité a starifié les chefs. Désormais ultra médiatisés, ils sont devenus nos rockstars modernes, glamourisés et fantasmés, offrant à l’industrie une matière précieuse pour cuisiner ces figures souvent tyranniques et irréductibles. Anti-héros des fourneaux, femme déterminée ou symbole de la toute-puissance, frôlera-t-on bientôt l’indigestion avec ces nouvelles figures gastronomiques qui pourraient, à terme, gaver les salles ? 

The Bear saison 2
FX