Judy de Rupert Goold avec Renee Zellweger
Pathé

A l’occasion de la diffusion du Judy de Rupert Goold ce soir sur Canal +, la comédienne revient sur sa création de ce rôle qui lui a valu un Oscar

Quand avez-vous entendu pour la première fois du projet ?

Renée Zellweger : Mon ami, le producteur David Livingstone, a acquis les droits de la comédie musicale End of the rainbow de Peter Quilter et m’a envoyé le scénario qu’en avait tiré Tom Edge pour que je le lise en 2017. Pour être, honnête avec vous, je n’avais ni vu, ni même entendu parler de cette comédie musicale. Je dois vous paraître un peu à côté de la plaque, non car tout le monde la connaît ? (rires) Mais du coup, quand j’ai lu le scénario, j’ai été encore plus captivée par cette histoire et ce d’autant plus que je connaissais très peu de la vie de Judy Garland et surtout les circonstances tragiques de la fin de sa vie où elle est ruinée, sous anti- dépresseurs…

On peut vraiment dire que rien ne vous prédisposait au rôle…

Vous avez raison : je cochais a priori toutes les cases pour ne pas le faire ! (rires) Mais le scénario ne faisait qu’ouvrir et satisfaire à chaque page ma curiosité. Donc une fois cette lecture terminée, j’ai tout de suite échangé avec David pour connaître sa motivation profonde à faire ce film. Et ce qu’il voulait apporter par rapport à la mini-série Judy Garland, la vie d’une étoile que je me souvenais avoir vu et où Judy Davis était incroyable dans le rôle. Et même par rapport à la comédie musicale. Bref j’avais besoin savoir pourquoi il voulait en faire un film. Et j’ai vite compris que David voulait lire derrière les paillettes ou la descente aux enfers. Toucher à l’humain. Raconter la personne qui rentrait chez elle le soir une fois les représentations terminées, seule dans sa chambre d’hôtel. Montrer cette solitude qui se cache si souvent derrière une apparence de superstar adulée. J’aimais aussi son idée qu’on puisse contextualiser sa situation. Ne pas juste la montrer dans cet état de dépression mais faire comprendre que cet état est la conséquence de décisions qu’elle a prises dans sa vie sans se douter des conséquences à long terme, tant dans son rapport à la drogue que dans le dénuement financier où elle se trouve. Souligner aussi combien cette femme a été exploitée depuis son plus jeune âge. Montrer la réalité de ce qu’ a été sa vie, ses erreurs, ce qu’on la poussé à faire au nom du profit immédiat, ne pas la résumer à une petite chose fragile et tragique mais de la montrer comme une héroïne.  Et de là, il m’a invité à Londres et à commencer à travailler ensemble sur le film, sur le rôle, à enregistrer des chansons à Abbey Road. Ce film et ce rôle se sont construits par petites touches…

Comme pour un peu vous rassurer vous-même de votre capacité à le faire ?

Pour voir en tout cas si ce qu’on avait envie de faire était atteignable ou s’il fallait mieux arrêter là. On a aussi posé les bases pour la suite et pris de l’avance. A partir de là, j’ai le sentiment d’avoir passé 2018 avec Judy Garland à me renseigner sur sa vie, seule de mon côté. Et à la fin de l’année, je suis revenue à Londres quelques semaines avant la préparation effective du tournage.  

Qu’est ce qui vous a le plus surpris dans vos recherches sur elle ?

Je n’aurais jamais pu imaginer qu’une star qui a fait ses débuts sur scène à l’âge de 2 ans et a connu une telle célébrité puisse se retrouver à la fin de sa vie dans un tel dénuement financier, alors qu’elle n’a jamais cessé un instant de travailler. Au cinéma, sur scène ou à la télé avec le Judy Garland show qui a dû s’arrêter à cause de la concurrence de Bonanza. Et puis, faire ces recherches m’a aussi confirmé combien cette femme était intelligente.

On retrouve ces aspérités dans la manière où vous l’incarnez. Dans le film, on se sent certes en empathie avec elle mais vous ne gommez jamais ses aspects agaçants, sa capacité à aller droit dans le mur alors même qu’elle a conscience de pouvoir l’éviter.

Aussi star qu’elle a pu être, Judy Garland est comme chacun et chacune de nous. Un être humain avec ses qualités et ses défauts. Et elle savait pousser ses défauts à l’extrême ! (rires) Il ne fallait rien aseptiser pour lui rendre grâce.

JUDY: UN OSCAR MERITE POUR RENEE ZELLWEGER [CRITIQUE]

Avez-vous eu besoin de beaucoup la regarder jouer pour la jouer ?

Oui et non. Evidemment, j’ai commencé par voir tout ce que je pouvais trouver d’elle et de ses performances au cinéma ou à la télé pour me familiariser avec elle, prendre ses manières de se tenir, de s’exprimer, de bouger. Car c’était une femme et une comédienne extrêmement expressive. Je me suis donc construit une sorte de mémoire du personnage qui allait ensuite pouvoir ressurgir sur le plateau où j’ai associé chaque mouvent de son corps et de son visage à une émotion qu’elle fait passer quand elle parle ou quand elle joue, selon qu’elle se sente à l’aise ou intimidée.

C’est un challenge d’incarner une personnalité aussi connue et reconnue avec cette idée que tout le monde a sa Judy Garland en tête ?

Il faut surtout ne pas y penser une seule seconde. Sinon, on n’y va jamais ! J’ai essayé de construire à l’inverse une Judy Garland loin de celle que les gens connaissent et aiment. Trouver un autre prisme. Raconter plus la femme que l’actrice. Cette démarche s’apparente plus à de la chasse au trésor pour retrouver la vérité sur sa vie derrière le personnage qu’elle s’est construite.

A quel moment avez-vous su que vous touchiez juste ?

Il n’y a pas eu un moment particulier mais une accumulation de petites choses. A force de creuser pour trouver les infos et de tenter des choses en préparation. C’est un travail de très longue haleine car avant de trouver ce qui va vous guider vers elle, on collectionne les éléments qui ne vous seront d’aucune aide. Mais cela n’a été possible que parce que toute l’équipe technique, des décors aux costumes à la lumière, suivait cette même logique. Il n’y avait aucun jugement entre nous. On laissait le temps à chacun de chercher. Donc ce fut fluide, en mouvement, jamais arrêté sur des certitudes

Vous allez au combo après les scènes ?

Très rarement. Sauf si je sens que quelque chose pêche d’un point de vue de technique de jeu et que voir la prise m’aidera à résoudre le problème. Mais je n’aime pas voir mon visage et les émotions que j’ai pu dégager. Ca ne m’aide pas car je vois le travail et ça me bloque pour la suite

On sent votre plaisir à chanter dans le film…

Vous ne pouvez pas me faire plus beau compliment. Car ça n’a chez moi rien de naturel. Ce type de personnage me permet de me confronter à mes anxiétés : ma plus grande phobie est sans doute de chanter devant des gens 

Vraiment ?

Vous ne pouvez pas vous imaginer. Mon cœur s’emballe, j’ai des suées, je me mets à trembler… Je suis dans un état de stress maximal. Mais mon but a été de parvenir à donner cette impression de pur plaisir, celui d’un accomplissement personnel qui se mêle à celui du personnage. Je comparerai ce travail à l’entraînement d’une gymnaste. Même abnégation, même obsession de la précision du geste et du contrôle de son corps. Par exemple : où, comment et jusqu’où pousser son diaphragme quand je chantais ?  En fait, il m’a fallu intellectualiser un processus très physique pour arriver à tuer à petit feu ma timidité. Et à l’arrivée, oui, j’ai éprouvé de la joie à le faire. Ce dont je ne me serais jamais cru capable. Et quand ça marche, rien ne peut dépasser ce sentiment de joie- là. C’est comme voler sur une partition au milieu des notes de musique. Je sais qu’on semble dire ça à chaque film. Mais vous pouvez le noter et me le ressortir dans des années : c’est l’expérience de création la plus joyeuse que j’ai vécue sur un plateau