Le soleil brûle Vannes, mais dans les salles obscures, les films soufflent le chaud et le froid. Entre rage ouvrière et tendresse familiale.
Le soleil brûle Vannes ce jeudi, transformant les rues en fournaise. Mais dans les salles climatisées du festival Ciné-Citoyen, les films soufflent le chaud et le froid. Il y a les œuvres coup de poing et les films plus doux, ceux qui exp(l)osent les failles du système et celles qui cherchent un peu de lumière dans l'obscurité du quotidien.
Cette deuxième journée a fait fort. Très fort. C’était prévu. D'abord il y eut la masterclass de Vincent Lindon. L'acteur a électrisé une salle comble pendant deux heures et demi, se livrant comme jamais et prouvant que peu d'acteurs de son calibre sont capables d'une telle générosité. Et puis dans la section "patrimoine" on a pu revoir En guerre de Stéphane Brizé qui ne fait toujours pas de quartier. Et d'entrée, pose les questions qui fâchent : est-ce qu'un patron a tous les droits ? Est-ce qu'un actionnaire peut tout se permettre ? Est-ce qu'il peut humilier ses employés, les pousser dans le mur, les écraser pour des questions de rentabilité et de fric, briser des vies, des énergies ou des envies pour le simple profit ? Est-ce qu’il peut flinguer une entreprise, tuer une histoire, des histoires (celles des salariés qui la font tourner) pour faire plus d'argent ? C’est ce que se demandait le cinéaste dans ce film qui n'a pas pris une ride.
La guerre des classes version 2.0
En Guerre commence dans les locaux de Perrin Industrie. Cette entreprise n'existe pas, elle est née de l'imagination de Stéphane Brizé et de son coscénariste, Olivier Gorce. Mais il suffirait de remplacer ce nom par Goodyear, Continental, Whirlpool, Sanofi et tant d'autres pour se retrouver dans la forme dure et précise du documentaire. Le film, toujours aussi pertinent donc, toujours aussi fou de rage, toujours aussi contrôlé, nous plonge dans le vif de cette guerre permanente que se livrent le capital et le travail. En guerre pourrait au fond être une définition radicale, extrême, d'un cinéma Citoyen. On cherchait hier ce qui pouvait l'incarner, et ce film-là Il en a l'énergie convulsive. Et l'âme révoltée.
Vincent Lindon, magnétique dans le rôle du délégué syndical Laurent Amédéo, incarne cette résistance ouvrière avec une authenticité saisissante. Le dialogue entre "vrais" syndicalistes et comédiens professionnels crée toujours une vérité troublante. "On est tous sur le même bateau", se défend à un moment l'un des dirigeants. "Si on est dans le même bateau, nous, on est dans les couchettes du bas avec les rats et la merde et vous, vous êtes dans celles du haut", lui répond son interlocutrice.
Cette guerre-là en tout cas n'a pas d'issues faciles, pas de happy end et le film trouve son équilibre et sa puissance dans sa volonté de souligner les enchaînements et la complexité des situations de lutte, à en incarner toute la dimension humaine. Avant la séance, Brizé en visio, expliquait que son film était "l’image manquante", le lien entre la manière dont les médias rendent compte de ces luttes et tout ce que les infos ne peuvent pas montrer, le réel, l’humain qui mènent au conflit. C’est noir, bouillonnant, rageur, mais peut-être que l’espoir réside dans le combat, dans le fait de se lever contre ceux qui exploitent le travail des autres. C'est d'ailleurs posé au front du film, qui s'ouvre sur une citation de Brecht : "Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu." On prend les armes ?
Du côté doux de la force
On soupçonne Frédéric Tellier et Philippe Lemoine d'avoir bien fait leur boulot de programmation : le soir même, l'actrice-réalisatrice Hélène Médigue nous demandait justement de les poser les armes. De lâcher prise.
Ce festival Ciné Citoyen a une belle capacité à passer de la colère à la tendresse, de l'explosion à l'apaisement. Une place pour Pierrot troisième film en compétition nous amenait en tout cas sur un tout autre terrain, celui du handicap et surtout des aidants, ces héros du quotidien qui vivent avec ou au côté des personnes handicapées.
Inspirée autant par son vécu personnel que par un cinéma humaniste - et notamment la météorologie des sentiments de Claude Sautet et ses scènes de groupe où le réel circule tout le temps -, Hélène Medigue y raconte le quotidien d'une jeune avocate qui récupère son frère autiste Pierrot, jusque-là placé en centre médicalisé. L'arrivée de ce dernier va bouleverser l'équilibre précaire de Camille, accroître sa charge mentale de femme moderne déjà sur le fil. On va suivre ses hésitations, ses crises, ses coups de coeur, ses coups de blues et ses errements - et si elle porte souvent un ciré jaune, c'est bien une référence à la Rosalie de Sautet...
Parfois, l’engagement, le changement, n’est qu’une affaire de sensibilité. C’est une note qui bouleverse, une image qui transforme, un mot qui fait vaciller. Et Une place pour Pierrot cherche (et atteint) cela. C'est un film juste, senti et organique (le mot revenait souvent dans les discussions après la projection et pendant les interviews du lendemain). C'est un film aussi doux que violent, aussi fort que fragile, et qui tient beaucoup à sa mise en scène ample, aussi calculée qu'intempestive, soutenue par l'interprétation solaire et désemparée de Marie Gillain (mais pourquoi ne la voit-on pas plus souvent au cinéma ?!) et la présence puissante et discrète de Grégory Gadebois (gueule d'angelot dans un corps de déménageur). Pas de misérabilisme ici, pas de voyeurisme non plus, mais une approche lumineuse d'un sujet lourd et cette manière de filmer la différence sans en faire un spectacle.
Si Une place pour Pierrot est aussi réussi, c'est qu'il s'agit avant tout d'un film sur la reconstruction. Pas seulement celle de Pierrot qui apprend à vivre hors des institution, mais aussi celle de Camille qui en redécouvrant son frère se redécouvre aussi et apprend à s'accepter. Mais c'est aussi, de manière plus large, un film qui parle du lien entre les gens qui ce serait rompu et qu'il faut apprendre à retisser. A la fin de la projection, les témoignages des spectateurs racontaient qu'on est beaucoup à rêver d'une société qui accepte enfin de faire une place aux Pierrot et aux Camille qui nous entourent. En guerre ? Oui, mais sans arme, ni haine, ni violence.
Dans la chaleur vannetaise, on commence à comprendre ce que peut être un cinéma citoyen : un espace où les émotions se complètent, où la réflexion naît de la diversité des regards portés sur notre époque et nos vérités troublées.
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