Cédric Jimenez et Jean Dujardin sur le tournage de Novembre
Studio Canal

Rencontre avec le réalisateur du thriller événement, qui retrace la traque des terroristes après les attentats du 13 novembre.

Novembre a d’abord été écrit par le scénariste Olivier Demangel et vous n’êtes arrivé sur le projet que dans un second temps. Comment en avez-vous entendu parler ?
Mon agente m’appelle pour me parler d’un scénario qu’elle a adoré. Je suis un peu réticent parce que, généralement, j’aime bien être à l’origine de mes films. Et là, en plus, elle me dit que ça parle des attentats… L’émotion est encore vive, le respect plus que de mise… J’avais presque peur de lire le scénario. Mais quand j’ai découvert la façon dont Olivier Demangel avait abordé le sujet, son parti pris et la puissance de la narration, il était évident que je devais le faire. Il y avait un énorme respect des victimes, aucune envie de mettre en scène ou de reconstituer les attentats pour en faire un objet cinématographique. Novembre raconte ce qu’on sait moins, la face B de cet événement. C'était un film sur l'enquête, sur ces cinq jours après les attentats, et sur la réaction étatique par rapport à l'un des drames les plus marquants de ces 40 ou 50 dernières années. Ensuite, avec Olivier, nous avons entrepris un travail de réécriture. Je voulais aussi apporter ma vision personnelle au projet. Ce que nous avons continué de creuser est surtout l’élargissement du scope, l’aspect tentaculaire de cette enquête. Car c’est aussi ça qui rend compte de la complexité folle du travail des policiers : trouver des hommes sans rien connaître d’eux dans une métropole comme Paris et sa région, c’est quasiment mission impossible. 

C’est la deuxième fois de suite que vous prenez le point de vue des policiers. Même si l’angle est ici bien différent, est-ce que la polémique autour de Bac Nord a changé votre regard sur Novembre ?
Je ne me suis pas posé la question durant le tournage de Novembre, puisque que la polémique sur Bac Nord n'avait pas encore eu lieu. Elle est arrivée juste après. Mais j’ai certainement été encore plus précautionneux au montage. Et puis je me suis évidemment interrogé à la lecture du scénario : « Est-ce que j'ai vraiment envie de refaire un film du point de vue de la police ? » La réponse a été oui, parce que le sujet était trop fort. Bac Nord et Novembre ont été tournés très proches l’un de l’autre, mais ils auraient aussi bien pu sortir à cinq ans d'intervalle. C’est presque un hasard. Quand j’ai rencontré Olivier, personne n'avait encore vu Bac Nord... Quand je suis touché, je suis touché, je ne me demande pas si le film parle de la police ou de l'hôpital. Donc j'y vais avec le ventre, le coeur et la tête. Et je ne me pose pas de questions de politicien mais de réalisateur.

Justement, est-ce que le sujet du film et sa gravité ont pu entrer en contradiction avec vos envies de réalisation ?
Le sujet flottait au-dessus de nous en permanence et il fallait être à son service. C’était très important. Épuisant, aussi. En tout cas sollicitant, parce qu’il peut y avoir une part de frustration là-dedans. On a beau être très humble dans l’approche – l’humilité est aussi le mot d’ordre –, se mettre au service du sujet peut parfois entrer en contradiction avec le travail de réalisateur. On se questionne tout le temps : « Est-ce que jai le droit de faire ceci ou cela ? Est-ce que jai le mot juste par rapport à la situation ? » Ton plaisir de cinéaste doit rester de côté. Le but est de ne pas être trop didactique et manichéen, en proposant aux spectateurs un film qui va les prendre aux tripes, mais aussi leur poser des questions.


 

Quelle est la part de fiction dans un film comme celui-ci ?
Il y en a très peu. Enfin, tout dépend ce qu'on entend par fiction. En tout cas, on n'invente rien : on réinterprète certains faits et on les réorganise un petit peu. Une heure quarante, ce n'est pas cinq jours. Il faut contracter, donner des accélérations, transformer un fait en deux, un personnage en deux personnages… La question est : comment mettre la réalité à hauteur de film, sans se noyer dans une somme de faits qui, par définition, ne peuvent pas tenir en une heure quarante ? Alors on adapte, mais on ne ment jamais.

Les policiers savent qu’ils disposent de très peu de temps pour mettre la main sur les terroristes avant qu’ils ne récidivent. À quel point cette urgence aide le film à se placer sur le terrain cinématographique ?
Évidemment, le temps réduit - cette sorte de compte à rebours - est un ressort dramaturgique important, qui a tendance à aider la narration. Mais l’essentiel était à mon avis ailleurs, dans l'histoire de cette témoin, Samia, jouée par Lyna Khoudri. D’un coup, cette femme surgit dans le récit et inverse toutes les tendances : l’enquête se base d’un coup sur une intuition humaine et n’est plus du tout une machine où la procédure prend le dessus. Et cette femme se retrouve face à un choix terrible : il n'y a pas de bonne solution dans sa position, elle sait que sa vie va totalement changer quand elle est confrontée à ces responsabilités qui la dépassent. Sans cette témoin, l'enquête aurait été certainement plus classique et moins cinématographique… même si ce mot est difficile à utiliser pour ce sujet-là.

Il y a, vers la fin du film, une scène d’assaut d’une brutalité folle, qui dure de longues minutes… Qu’est-ce que vous cherchiez à raconter à travers elle ?
Cette scène était impossible à éviter. D’abord parce qu’elle marque la fin de cette enquête, le point d’impact de l’histoire que l’on traite dans le film. Et ensuite, dans la réalité, l’assaut a duré cinq heures. Ce qui assez fou et inhabituel pour des polices d'interventions comme le Raid et le GIGN, qui opèrent généralement sur des temps très courts. Là, ça ne s'est pas passé comme prévu. La pression, la tension, l'obligation de résoudre la situation… Leurs réactions ont certainement été différentes, ils étaient peut-être moins dans la maîtrise qu’habituellement. Ce n’est pas du tout anodin, et je tenais à ce que ça se ressente.

Novembre sort après le verdict du procès. Pur hasard du calendrier ou volonté d’attendre que la justice ait été faite ?
Nous ne nous sommes pas sentis obligés d’attendre que la justice ait rendu son verdict. Le procès est basé sur cinq ans d’enquête et pas sur cinq jours. Ce que notre histoire raconte est quelque part terminé : les deux hommes recherchés ont été retrouvés. Je n’essaie pas d’apporter de réponse supplémentaire et il n’y a pas d’obsession d’en faire un film cathartique. C’est seulement en s’interrogeant sur la façon de traiter le sujet de la manière la plus objective, intelligente et appropriée, que le cheminement intellectuel et artistique mène au film cathartique.

Novembre, de Cédric Jimenez, avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Lyna Khoudri, Sandrine Kiberlain... Actuellement au cinéma.

Novembre : Cédric Jimenez réussit son après Bac Nord [critique]