Josh O'Connor dans The Mastermind de Kelly Reichardt (2025)
Condor Distribution

L’américaine Kelly Reichardt présente en compétition une comédie douce-amère autour d’un jeune homme sans qualité et dessine en creux la défaites des idéaux d’un pays ton sur ton.

L’Amérique seventies est un inépuisable réservoir à fantasmes. Au cinéma cette parenthèse (dé-)enchantée a donné lieu à un corpus de longs-métrages synchrones avec l’agitation d’un pays alors secoué par : la Guerre du Vietnam, l’affaire du Watergate, la répression policière au sein des universités, la mort successive des rockstars (Jimi, Jim, Janis et les autres)... Les cinéastes qui la regardent aujourd’hui ne peuvent s’empêcher de la recouvrir d’un romantique pop. Kelly Reichardt (Wendy & Lucy, La dernière piste, Certaines femmes, First Cow...), ne mange pas de ce pain-là.

L’action de The Mastermind se situe donc au tout début de cette décennie à Framinghan, Massachussetts, petite ville assoupie dont la fiche Wikipédia peine à trouver une quelconque particularité. C’est dans cet angle mort et morne que la cinéaste de 61 ans a décidé de poser son regard, loin donc des bruits d’un monde dont nous parvient discrètement les soubresauts. On le sait l’américaine adepte d’un cinéma minimaliste, n’a jamais cherché la foule et les effusions. Elle filme ici un pays atone. The Mastermind est une sonate d’automne. Encore que.

Josh O'Connor dans The Mastermind de Kelly Reichardt (2025)
Condor Distribution

James (Josh O’Connor), fils d’un notable du coin (un juge, la chose n’est pas anodine), organise le vol de quatre tableaux du peintre abstrait Arthur Dove, pionnier de l’art non figuratif américain. Dans le magnifique musée de la ville, les gardiens roupillent sur leur chaise. Le coup est facile. Aidé de deux pieds nickelés, James réussi sans trop d’accrocs son forfait. The Mastermind débute ainsi à la façon d’un film des Coen première manière, lorsque les frères savaient encore regarder leurs personnages avec ironie et tendresse. Plus froide, Reichardt s’amuse avec eux mais garde par sa mise en scène une distance. Les couleurs volontairement délavées de son cadre annulent toutes disparités jusqu’à effacer les êtres et les choses qui s’agitent au devant de lui.

Ce ton sur ton d’où rien (ou presque) ne peut surgir, c’est le crédo même de cette histoire, celle d’un jeune homme moyen et sans aspérité qui dans son désir d’enrayer la spirale petite bourgeoise qui le noie, ne trouvera que les échos moqueurs de sa propre impuissance. En cela la séquence dans la grange où James tente péniblement de cacher son butin est un pur moment de burlesque pathétique.  

Alana Haim dans The Mastermind de Kelly Reichardt (2025)
Condor Distribution

Reichardt délaisse peu à peu les rives de la comédie pour un road-movie apathique dans une Amérique qui n’a rien à offrir. Ainsi lorsque James croit pouvoir trouver refuge au sein d’une communauté de hippies, il fait face à une porte close. La joyeuse bande est partie, seul un hobo fatigué est là pour l'accueillir. « Drôle de période » entend-on quelque part. James est toujours à contretemps des évènements.

Son film semble se dissoudre lui-même, mais Reichardt le rattrape par le col à l’aide d’une bande son jazzy plutôt incongrue dans ce décor folk. La trompette be bop accompagné d'un rythme de batterie tonitruant produit une vitalité qui contredit la lenteur affichée. Si quelque chose vit encore, elle n’appartient pas forcément à l’époque, du moins à l’image que l’on s’en fait mais à une énergie qui viendrait d’autre part, presque autonome. Reichardt laisse en suspension cette tension, n’affirme rien.

Il faudra un final chaplinesque pour démontrer toute l’ironie grinçante de cette histoire. James dans son impossibilité à s’engager et faire corps avec les autres, sera piégé au moment même où involontairement il rejoint enfin le cours des choses. La fièvre de l’époque n’était décidément pas pour lui. That's all floks!

USA. De Kelly Reichardt. Avec : Josh O’Connor, Alana Haim, John Magaro... Durée : 1h50. Sortie indéterminée.


A lire aussi sur Première

Un simple accident : Jafar Panahi frappe fort [critique]

Le cinéaste iranien tyrannisé par le régime des mollahs est venu présenter son dernier long-métrage, charge à la fois brutale et burlesque contre le pouvoir. Un temps fort de cette compétition.

Les aigles de la République se paye l’actuel pouvoir égyptien [critique]

A travers l’itinéraire d’un acteur-star du cinéma égyptien obligé de se coucher face aux autorités de son pays, le cinéaste suédois dresse un terrible portrait du pouvoir d'Abdel Fattah al-Sissi. En compétition.