Nouvelle Vague
Jean-Louis Fernandez

Richard Linklater, Américain à Paris, transforme les mythiques débuts de Godard en film de bande et de jeunesse, joyeux mais un peu engoncé dans sa dimension patrimoniale.

"Vous n’avez rien contre la jeunesse ?", demandait une vendeuse des Cahiers du Cinéma à Belmondo dans A Bout De Souffle. "Si, je préfère les vieux", répondait Bébel. Richard Linklater, lui, a toujours été du côté des jeunes, il adore les filmer en train de devenir grand ("to come of age", comme on dit chez lui à Austin, Texas), dans des récits d’apprentissage plus ou moins conceptuels, de Dazed and Confused à Boyhood, des films qui ont fait de lui un chroniqueur cool des grands émois de l’adolescence et un roi du hang-out movie – ces films sans vraie intrigue où des gens apprennent à se connaître en traînant ensemble.

C’est donc ainsi que Linklater a choisi d’aborder le très casse-gueule exercice de reconstitution du tournage mythique d’A Bout De Souffle, premier film de Godard, qui transforma la Nouvelle Vague en raz de marée, au début de l’année 1960 : comme un hang-out movie, un film de jeunesse, de bande, de rigolade, de première fois, d’instants magiques dont on pressent à l’instant précis où on les vit qu’on ne les revivra plus jamais avec la même intensité. Son talent pour recréer des bulles d’espace-temps dans lesquelles il fait bon vivre fonctionne à plein ici, et se double d’un extraordinaire exercice de style "à la manière de", un pastiche superbement confectionné, qui donne à ce Nouvelle Vague des airs de vrai-faux film de Godard – le Godard sixties, dans sa veine la plus primesautière, blagueuse et fantaisiste.

Le noir et blanc du film imite ainsi superbement celui du chef opérateur Raoul Coutard – par ailleurs l’un des meilleurs personnages secondaires du film, joué par Matthieu Penchinat comme un roc imperturbable au milieu de la tempête godardienne. Le casting est de toute façon l’une des grandes forces de Nouvelle Vague, de Zoey Deutch, irrésistible en Jean Seberg tour à tour frustrée et malicieuse, aux méconnus Guillaume Marbeck (en Godard) et Aubry Dullin (en Belmondo), qui donnent l’impression de faire ça les mains dans les poches, sans se laisser écraser par les mythes que sont devenus JLG et Bébel – justement parce qu’ils les incarnent avant le grand saut, dans la microseconde qui précède leur entrée dans la légende.

Nouvelle Vague
Jean-Louis Fernandez

La finalité de l’affaire, on l’imagine, est pour Linklater, d’inciter les jeunes cinéastes d’aujourd’hui à retrouver la légèreté, l’énergie, l’envie de tout exploser qui agitaient Godard et ses copains à l’époque. Un geste en légère contradiction avec la démarche patrimoniale qui sous-tend le film, ses révérences respectueuses qui sont aussi celles d’un touriste américain à Paris, amoureux sans réserve de la Nouvelle Vague et de sa mythologie, et qui a clairement choisi d’"imprimer la légende", loin des ambitions poil à gratter du Redoutable de Michel Hazanavicius – avec lequel Nouvelle Vague forme néanmoins un bon double programme.

On n’aura ainsi jamais accès à l’intériorité de Godard, constamment planqué derrière ses lunettes noires, qui reste jusqu’au bout du film cette silhouette sortie d’une BD ligne claire, débitant des aphorismes et des citations entre deux éclairs de génie. Mais ce n’est manifestement pas l’ambition du film, volontairement pédago, un cours d’histoire du cinéma pour rire et en accéléré, comme la visite du Louvre de Bande à part. Au fond, Richard Linklater est assez proche du personnage joué par Jack Black dans son film Rock Academy, un enseignant très détendu qui estime que ce n’est pas parce qu’on est dans une salle de classe qu’on est censé passer un mauvais moment – il a juste remplacé ici l’histoire du rock par celle du 7ème Art. On imagine que les cinéphiles texans qui iront voir Nouvelle Vague fantasmeront à mort sur le Paris de 1959, comme on fantasmait nous sur le Texas de 1976 devant Dazed and Confused.

Nouvelle Vague, de Richard Linklater, avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin… Au cinéma le 8 octobre.