Une merveille d’audace ou un torrent d’ennui ? Le film de l’Allemande Mascha Schilinski ne fait pas l’unanimité chez Première.
POUR
La compétition cannoise 2025 ne pouvait pas mieux commencer qu’avec cette fresque de 2h39 qui ne laissera personne indifférent. Le type de film qu’on adore ou qu’on rejette. Qui oblige à choisir son camp, grâce au parti pris de sa réalisatrice, l’allemande Mascha Schilinski (dont le premier long métrage, Die Tochter, est inédit en France) de faire confiance aux spectateurs, de les laisser se perdre puis déambuler à leur guise dans le travail de fourmi qu’elle a opéré au fil de ses trois années d’écriture, pour que chacun se fasse son propre film en suivant le fil de son ressenti à l’intérieur du cadre dans lequel elle a circonscrit son récit. Une ferme de l’Altmark, une région rurale de l’Allemagne, dans laquelle on va suivre – en flashbacks et flashforwards – le destin de quatre jeunes filles qui y ont vécu à quatre périodes différentes, des années 1910 à nos jours, en subissant chacune des humiliations et des violences physiques comme morales incessantes. Voilà pour le contexte. Et à partir de là, Sound of falling se déploie comme un voyage aussi fascinant que malaisant. Comme si Mascha Schilinski avait ouvert une boîte de Pandore et que soudain surgissait tout ce que ces jeunes femmes malmenées avaient été contraintes de taire.
Le contre-sens aurait été en faire un récit linéaire et scolaire, en prenant soin de bien tricoter chaque histoire pour leur donner un début, un milieu, une fin. Mascha Schilinski épouse elle cette rage rentrée qui enfin se libère en partant dans tous les sens. On la sent en quête de nouvelles modalités dans la narration cinématographique. À l’écrit bien sûr (la manière dont elle fait soudainement disparaître ses héroïnes) mais aussi par un travail hallucinant sur le son et sur l’image, personnages à part entière du film. Un travail d’autant plus dingue que le tournage de cette fresque d’époque riche en personnages, enfants et autres animaux, n’a duré qu’une trentaine de jours ! Et c’est cette atmosphère-là évoquant tour à tour l’univers sensuel d’une Jane Campion, la rigueur glaçante du Haneke du Ruban blanc et les expériences sonores de La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer qui vous emporte à condition que vous ayez accepté de passer un pacte avec ce film. Celui d’être totalement perdu dans ses 30 premières minutes et pas forcément plus avancé dans les 2h suivantes. Un pari audacieux qu’on accepte car on sent aux commandes quelqu’un qui, elle, sait très bien où elle va. Et qui justifie à lui seul la rumeur enthousiasmante qui entourait le film depuis des semaines !
Thierry Cheze
CONTRE
Avant d’aller lui taper dessus, reconnaissons à Sound of Falling une qualité de mise en scène assez stupéfiante et une multitude d’idées démentes quand il s’agit d’intégrer au récit ses incessants allers-retours temporels et changements de points de vue. Ceci posé, le film de Mascha Schilinski épuise très vite son capital sympathie en imposant une confusion irritante (du propos comme de la narration) et en bandant si fort les muscles qu’on se croirait pris dans une clé de bras.
Une sorte de lutte s’enclenche alors entre la cinéaste et le spectateur, piégé malgré lui dans ce projet très arty, très chichiteux, bardé de motifs péniens, hanté par la mort et piochant sans vergogne chez Jonathan Glazer, Terrence Malick (qui se serait levé du mauvais pied) et même un peu David Lynch quand le film flirte avec le macabro-fantastique. On ressort épuisé de ces longs portraits doloristes de femmes et de leurs corps maltraités à travers les époques, victimes d’inceste ou stérilisées contre leur gré. Un grand film sur le sujet de la misogynie semble pourtant se cacher quelque part derrière le vernis poseur, mais il faudra vigoureusement gratter pour l’apercevoir.
François Léger
De Mascha Schilinski. Avec Hanna Heckt, Lena Urzendowsky, Laeni Geiseler… Durée : 2h39. Sortie indéterminée
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