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Avant le chanteur/compositeur, il y avait l'acteur. David Bowie a passé la majorité de sa carrière derrière un masque.

Il y avait des raisons d’espérer. De croire que David Bowie était plus qu’un être de chair et de sang, qu’il allait tutoyer la mort et la renvoyer dans ses cordes. Le crabe l’a finalement mangé et la légende est partie "paisiblement", après un combat de 18 mois. Trois jours après son anniversaire.

En plus de 50 ans de carrière, il aura fait bouger les lignes de la musique, dicté la mode et anticipé les changements de la société. Un génie venu de la marge au physique atypique, réussissant l’exploit de la fusion du mainstream et de l’underground. Un artiste complet qui s’est souvent caché sous les traits de personnages emblématiques, ne laissant que rarement entrevoir David Robert Jones (son nom de naissance). L’extraterrestre Ziggy Stardust, le cocaïné Thin White Duke, le schizophrénique Aladdin Sane, le glam-trash Halloween Jack… 

Les 10 meilleurs rôles de David Bowie au cinéma

De son détour par le théâtre et le mime dans les années 60, il aura gardé cette volonté farouche d’incarner quelqu’un un autre que lui-même, comme si son vrai visage devait être recouvert d’une épaisse couche de maquillage pour trouver de l’intérêt à ses yeux. Avant même de s’attaquer au cinéma avec des rôles à la mesure de son propre mythe, Bowie était déjà avant tout un acteur.  


Débarrassé du décorum dans un documentaire récemment diffusé sur France 4 , l’homme aux cents visages avouait que "Ziggy Stardust était une expérience. Je ne pensais pas qu'il prendrait tant d’importance (…) Montrer mon véritable visage sur scène m'embarrassait et comme interprète, je n'étais pas à l'aise (...). Quand j'ai créé Ziggy Stardust, cela me convenait parfaitement car je pouvais disparaître virtuellement derrière lui".

Ce besoin d’avancer masqué et de se fondre dans une autre personnalité, David Bowie le tenait certainement de son demi-frère, Terry Burns. C’est lui qui l’a initié à la musique, lui faisant découvrir les concerts et le jazz alors que le jeune David était en pleine adolescence. La schizophrénie de son aîné le poussera au suicide et marquera à jamais celui qui deviendra David Bowie. L’absence et la folie qui consumait ce frangin idéalisé parcourent l’oeuvre de l’artiste, qui évoque notamment leur complicité dans le sublime The Bewlay Brothers (l’album Hunky Dory, 1971).  


Il craignait que ce dédoublement de personnalité qui a coûté la vie à son idole ne le dévore également. Le mettre en scène selon ses propres termes était la seule solution pour rester sain d’esprit : "Je pensais que j’avais de la chance car j’étais artiste, donc que j’échapperais à la folie", racontait-il sur un enregistrement diffusé lors de l’exposition qui lui était consacrée, David Bowie Is.

Les chansons de Bowie prenaient souvent leurs racines dans sa vie personnelle, qu’il réinventait, triturait, fantasmait, poétisait. David Bowie est un film de David Robert Jones dont il était à la fois le réalisateur, acteur, costumier et preneur de son. Même quand il se savait condamné, la faucheuse se rapprochant inexorablement, Jones continuait de jouer. Dans le clip de Lazarus sorti il y a quelques jours, il remettait le masque et faisait ses adieux au monde dans une mise en scène aussi macabre qu’apaisée. Sur l’ultime plan, il disparaît, retourne dans la matrice qui l’a fait naître un peu plus tôt. Clap de fin, ashes to ashes. "Regarde là-haut, je suis au Paradis", susurrait-t-il quelques secondes auparavant.