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L'Affaire SK1 : "Les producteurs me demandent toujours si ça va être sexy"

SK1 et le procedural

Avec L?Affaire SK1, Frédéric Tellier redonne des couleurs au <em>procedural</em> français qui, malgré l?omniprésence des flics et des commissariats à la télé comme au cinéma, avait depuis longtemps perdu son ADN.Enquête.<strong>Gaël Golhen</strong>Lire aussi<strong>Notre entretien avec Raphaël Personnaz</strong>

Les pionniers : Quai des Orfèvres

Le parrain du genre est américain et s?appelle Ed McBain. Avec ses <em>Chroniques du 87e district</em> et son inspecteur Carella, il s?impose à partir des <em>fifties</em> comme le pionnier et le dépositaire d?une bible que ses héritiers ont démontée et recomposée dans tous les sens. C?est lui qui a imposé les codes, jeté les bases d?un univers ultra-réaliste (café froid, cernes sous les yeux, cafard domestique, insomnie alcoolisée, duos de flics etc.), avant d?être imité en littérature (Lawrence Block pour n?en citer qu?un) puis pillé au ciné et à la télé. En France, où le genre avait pointé son nez dès 1947 avec Quai des Orfèvres (premier film à avoir eu accès au 36 pour observer de près le travail des enquêteurs), ce n?est que dans les années 60-70 que le quotidien policier devient une valeur refuge.

La grande époque des 70's

Face aux polars surréels de Melville ou aux films noirs free jazz de la nouvelle vague, toute une gamme de cinéastes popu se nourrit d?une rugosité documentaire mieux informée. <strong>Jacques Deray</strong> triomphe avec Flic Story ? retraçant l?histoire du super-policier Borniche ; l?extraordinaire Dernier Domicile Connu de José Giovanni fait chialer le public avec son incroyable empathie réaliste ; « Et puis il y avait <strong>Yves Boisset</strong> qu?on sous-estime et pour lesquels j?ai une vraie passion, renchérit Fred Tellier, le réalisateur de SK1<em>. N?oubliez pas les Cayatte, qui décortiquaient le système judiciaire ou les films de Costa-Gavras. Les 70?s furent la grande époque du « procédural » réaliste. Et puis, à un moment, un truc s?est cass?</em>. Après <em>Police</em> de <strong>Pialat</strong> (1985) et L627 de <strong>Tavernier</strong> (1992), on cesse en effet de produire en France des films de flics informés et ancrés dans le réel. Les caméras ne foutent plus les pieds dans les commissariats et plus personne ne va regarder ce qui se passe dans les tribunaux.

Le syndrome Navarro

<em>« On a commencé à se désintéresser de la justice. A s?en moquer même. Et comme les Français détestent les flics? on a perdu le fil »</em>. C?est Anne Landois qui parle, la showrunneuse d?Engrenages, séries Canal qui cartonne en montrant le quotidien <em>hardboiled</em> des policiers hexagonaux. <em>« C?est un drôle de paradoxe : dans les années 80-90, la Police a investi le petit écran. On ne pouvait plus voir une seule série sans croiser un flic. Mais ils n?avaient plus rien à voir avec les vrais »</em>. Pendant que les Américains restaient cramponnés au bitume avec (entre autres) <em>Hill Street Blues</em> puis NYPD Blue, les Français décollaient en balançant des Commissaire Moulin ou Navarro sans aucun souci de documentation. Les téléspectateurs mataient des histoires de commissariat tous les soirs, mais c?était n?importe quoi. <em>« A part quelques exceptions (</em>Engrenages<em> notamment), c?est toujours le cas. De la pure science fiction, »</em> s?amuse DOA, un auteur de la Série Noire qui ne plaisante pas avec le réel, mais rigole bien à l?évocation des films et séries frenchies biberonnés au polar américain, où les prévenus demandent régulièrement à passer un coup de fil à leurs proches et où c?est à peine si les flics n?ensachent pas leurs bouteilles de Jack Daniels dans du papier brun.

SK1 : plus Depardon que Michael Mann

Non, le procédural, le vrai, s?appuie sur le syndrome « c'est arrivé près de chez vous, » une envie de naturalisme choc et la volonté d?être un miroir sociologique. Troublant. Pas franchement agréable et encore moins confortable. C?est l?un des plaisirs de <em>SK1</em>. On y est plus proche d?un docu de Depardon (Faits Divers) que de Heat (modèle obsessionnel de La French, et de tous les polars post-36 Quai des orfèvres). Parce que Tellier donne à voir la « police réelle ». Le film musarde, observe patiemment ce qui tisse le quotidien des flics : scènes de cafét?, conversations bordéliques, relations entre les anciens et le petit nouveau, vie de bureau, mais aussi (surtout) rapports hiérarchiques tordus, temps morts, impuissance, guerre des juges?

Diversion Vs transmission

Paradoxalement, c?est cette austérité, cette étrangeté si proche qui font la force d?un genre pas forcément cool, ni même beau à voir. <em>« Les producteurs me demandent toujours si ça va être sexy. Si ça ne va pas être angoissant et anxiogène. Combien de fois on m?a dit que c?était bien que ce soit documenté mais qu?il ne fallait pas en faire trop ! »</em>  explique Tellier. <em>« J?oppose toujours le cinéma de diversion et le cinéma de transmission. En choisissant le procédural réaliste, on sait de quel côté on se place, le truc étant d?arriver à trouver un équilibre satisfaisant pour que ce ne soit pas trop aride non plus »</em>.

La marque Olivier Marchal

DOA, plus radical que Tellier : <em>« Globalement ?  et c?est très français ? on n?a pas envie de s?emmerder avec tout ce boulot de documentation. Ces films sont compliqués à monter parce que les auteurs et les cinéastes préfèrent s?affranchir de la réalité. On glamourise à mort, c?est plus facile. Ça donne le cinéma de Olivier Marchal. Je ne dénigre pas. Grâce à lui, le polar a retrouvé ses lettres de noblesse commerciales, mais comme </em>36<em> a marché, on ne fait plus que copier son style? des flics dépressifs, sous la pluie, qui montent dans leurs bagnoles »</em>. ?Anne Landois va même jusqu?à dire que <em>« le procédural réaliste a été sciemment banni de la télé. On a privilégié des héros hyper positifs comme Navarro ou Julie Lescaut. Ça avait le vernis du procédural parce qu?on les voyait au bureau, mais il s?agissait surtout de créer des personnages fantasmatiques, fédérateurs et républicains »</em>. 

Objection, votre honneur

Cette longue absence des écrans pèse douloureusement sur le genre. Abreuvés de films ou de séries US ancrés dans le système judiciaire américain, on ne sait plus à quoi ressemble le nôtre. On sort de vingt ans de télé ou de cinéma où le seul modèle de procédure pénale vu sur nos écrans aura été anglo-saxon. <em>« J?entends souvent que la justice française n?est pas spectaculaire. Mais c?est surtout qu?on ne la connaît plus, »</em> reconnaît Landois. Il serait peut-être temps de se souvenir qu?en France, les avocats de la défense ne disent pas « Objection, votre honneur, » par exemple. DOA : <em>« L?effet des séries américaines est ambivalent. Soit on se met à bosser, vraiment, et on reprend à notre compte leur ambition, leur méthodologie. Soit on continue de se contenter de les copier, et c?est un désastre. »</em> On a beau les détester, il n?y a pas trente-six solutions. Il va falloir réveiller les flics (français) qui dorment. 

Avec L’Affaire SK1, Frédéric Tellier redonne des couleurs au procedural français qui, malgré l’omniprésence des flics et des commissariats à la télé comme au cinéma, avait depuis longtemps perdu son ADN.Enquête.Gaël GolhenLire aussiNotre entretien avec Raphaël Personnaz