Alastair, je lis dans le dossier de presse que vous êtes le Spielberg du documentaire… C’est flatteur, mais ça veut dire quoi au juste ?Ca veut dire… hmmm… En fait… Enfin, c’est tout bête. C’est un journaliste du Wall Street journal qui a trouvé ça. Quand Terre est sorti et est devenu un énorme succès aux US, je pense qu’on a cherché à me faire rentrer dans des cases. Comme je produis, que j’avais une grosse équipe et que je venais de rencontrer un beau succès, on a fait ce parallèle. Le Spielberg du documentaire. Bon, c’est un peu con, j’avoue.Et en même temps, après FélinsChimpanzés est le deuxième doc Disney Nature a proposer des idées de mise en scène complètement dingues à base de traveling dans la jungle et de scène de pure comédie… Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est du Spielberg, mais il y a des idées de réalisation constantes.On n’est pas idiots ! Les gens ne vont pas en salles pour voir des documentaires sur les animaux ! En tout cas, ça ne suffit pas… Il faut leur donner autres choses. Après Terre, je pense que Chimpanzés marque une étape supplémentaire dans nos recherches de cinéma. Il y a des personnages bigger than life. Et il nous fallait une mise en scène qui soit à la hauteur. Evidemment, on ne peut pas les diriger comme des acteurs, du coup, c’est vraiment compliqué de penser ton film en termes de cadrage et de mise en scène. Mais c’est précisément ces défis qui nous excitent. On a écrit l’histoire pour savoir quel type de feeling et de cadrage on allait adopter…Ecrire l’histoire ? On parle de bêtes sauvages…Le seul truc qu’on n’a pas pu prévoir, c’est l’adoption… Franchement, ça on ne l’avait pas vu venir, et c’est sans doute le plus beau cadeau que nous ait fait la Nature. On se réveillait parfois en se disant, « OK, qu’est-ce qu’on aurait fait sans cette adoption ? »… Le film aurait été clairement moins puissant. Pour le reste, on a travaillé avec eux en fonction de l’histoire qu’on voulait raconter et du ton qu’on recherchait.Ce sont les animaux qui vous donnent le ton des films ?Bien sûr : les lions sont différents des chimpanzés comme… disons Johnny Depp est différent de Brad Pitt. Tu ne fais pas le même film avec Pitt et avec Depp. Tu n’auras pas les mêmes émotions. Pour les animaux, c’est pareil. Prends Félins : les lions vivent dans la savane, c’est l’Ouest sauvage, le cadre est incroyable. C’est ça qu’on exploite : le rapport à l’espace, les fantasmes qu’on a sur ces animaux. Mais ils ne sont pas aussi engageants que des chimpanzés. Un lionceau, c’est mignon, c’est craquant. Mais Oscar… pffff. Oscar ! quand il me regarde, je vois mon fils. C’est vrai que Félins ressemblait à un western. Mais du coup, Chimpanzés, ce serait votre comédie ? Oui, mais aussi un drame social, un mélo. Mais la comédie est ce qui m’a convaincu de revenir aux chimpanzés. C’est génial parce que l’humour est rare dans la nature. Or, les chimpanzés amènent ça. Les séquences des noix par exemple, c’est hilarant…Vous saviez, avant de vous enfoncer dans la jungle, que vous alliez réaliser une comédie ?Il y a 25 ans, j’avais réalisé un doc sur les chimpanzés. Je savais qu’ils craquaient des noix, je savais qu’ils pouvaient se chamailler, jouer, faire des blagues… On a écrit un script de 75 pages. On savait qu’on suivrait un bébé chimpanzé pendant 4-5 ans ; ils sont mignons et touchants. On avait besoin de méchants, et on savait qu’on filmerait une bande rivale. On leur a donné des noms et on a scénarisé tout ça.C’est totalement hubristique ! Vous vous prenez pour Dieu ?Mais non ! On ne peut pas. Par contre, on connaît la nature, on sait ce qu’on peut filmer et on est entouré des plus grands scientifiques. On connaît la personnalité des chimpanzés ; on sait qu’ils sont joueurs, on sait comment ils se développent. Mais on ne leur demande pas de faire quoi que ce soit. Notre script repose sur ce qu’on sait de leur développement. Et d’ailleurs, c’est ce que je te disais : le meilleur du film a été notre plus grande surprise, l’adoption. C’est là qu’on voit la différence entre un bon réalisateur et un mauvais réal d’ailleurs : est-ce qu’on sait rebondir, s’adapter et intégrer ce que te propose la nature dans le film ? Qu’est ce que tu fais des opportunités ?Je me demande à quoi ressemble vos scripts.Simple : des images à droite, la narration à gauche. Evidemment, on le changeait constamment… Et plus on avançait, plus ça devenait compliqué… Il nous manquait des bouts à filmer et évidemment c’était le plus dur à trouver. Les éléments ont souvent été contre nous.Les hommes aussi, il paraît que la guerre civile de la RDC a stoppé le tournage…C’est arrivé à la fin… On avait à peu près tout, mais il nous manquait des plans de jungle et quelques plans d’insert. On a fini ça dans un pays voisin. Rien de grave. Mais c’est vrai que sur ce film, ce sont les hommes qui ont été les plus compliqués à gérer (rires)Les limites de l’écriture c’est quand même le coté Disney de l’affaire. Le méchant qui s’appelle Scar, l’anthropomorphisme…Encore une fois, notre objectif c’est d’amener les gens à venir dans les cinéma ; les émouvoir. Sur ce terrain là, peu de gens ont fait mieux que Walt Disney. D’ailleurs, c’est cette héritage-là qu’on cherche à raviver… Scar te pose un problème ? Oublie ce nom ! C’est des clins d’œil, rien de plus. Mais je ne suis pas d’accord avec toi sur l’anthropomorphisme. Les chimpanzés sont très proches de nous et je te jure qu’on n’a pas à se forcer pour les rendre humains. C’est même parfois troublant.Vous avez choisi Oscar parce qu’il était bon acteur ? On a tout de suite vu que ce singe était spécial. En fait, à l’origine, on devait filmer un autre chimpanzé. Mais quand on a mis nos caméras en route, on s’est aperçu que ce singe était trop timide. Par contre, derrière, on a vu apparaître ce petit chimpanzé qui faisait l’idiot dès qu’on arrivait avec notre matériel. Il était dans le plan et faisait tout pour attirer l’attention. Un acteur né.Comme Steve McQueen dans Les 7 mercenairesExactement ! Il voulait voler la vedette des autres. Il avait un talent comique et d’émotion absolument fou. On a été tout de suite changé nos plans et adopté Oscar. A star was born.