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Sert-il uniquement à caresser les fans de comics dans le sens du poil ?

Il vient de dépasser le demi-siècle d’existence mais on lui donnerait facilement dix ans de moins. Biberonné aux comics depuis sa plus tendre enfance - ça conserve, demandez à Stan Lee - Zack Snyder est loin d’avoir tué le gamin qui se régalait des aventures de super-héros dans les années 70. Désormais réalisateur en chef des adaptations DC Comics chez Warner Bros. et producteur de nombre d’entre elles, le petit gars du Wisconsin a fait du chemin depuis ses débuts dans la publicité et les clips musicaux. Autant adulé que détesté par les cinéphiles pour son style visuel tape-à-l’oeil, Snyder fait aujourd’hui partie de ceux qui comptent à Hollywood. Au point d’enchaîner Man of Steel, Batman v Superman et Justice League. Snyder, vrai king des adaptations de comics ?

"Dans le petit monde des comic book nerds, il a réussi une prouesse qui a convaincu beaucoup de monde : celle d’adapter relativement très correctement (malgré une fin remaniée qui fait toujours débat) Watchmen, chef-d’oeuvre absolu d'une industrie qui prétendait le bijou d'Alan Moore purement inadaptable", assure Sullivan Rouaud, rédacteur en chef du site spécialisé Comicsblog.fr. "Pour un réalisateur que l'on disait destiné aux pubs de parfums, c'est quelque chose qui a beaucoup compté, surtout après un 300 adapté de l'autre géant des comics : Frank Miller".

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Un coup d’éclat remarqué, malgré un box-office décevant de 185 millions de dollars à travers le monde. Pas traumatisé pour autant, Snyder enchaînera sur deux projets personnels, Le Royaume de Ga'hoole et Sucker Punch, avant de revenir tranquillement aux films de comics avec Man of Steel, en 2013. Une version de l’Homme d’acier résolument sombre, qui posait les fondations du nouvel univers cinématographique DC Comics post-Christopher Nolan. "Snyder a fait un choix fort : celui de faire de son héros un tueur, capable de briser le cou du dernier survivant de son espèce", tout en transposant "une version de Superman qui empruntait beaucoup aux comics". Des bandes dessinées qui sont un socle, presque une Bible pour le réalisateur. 

"Le case à case est chez lui une seconde nature"

Sa femme depuis 2004, la productrice Deborah Snyder, avec qui il travaille en tandem depuis des années, nous confie : "Il a un don pour raconter des histoires par l’image et le fait de façon méthodique : il dessine toutes les planches des storyboards lui-même. Il a déjà tout avant d’arriver sur le plateau de tournage. Quand la caméra tourne, il peut donc se concentrer sur les acteurs et leurs performances"

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Une préparation extrême qui lui vaut souvent des critiques sur la littéralité avec laquelle il adapte les BD. 100 % respectueux donc 100 % épatant ? Pas tout à fait. "Le case à case est chez lui une seconde nature, qui caresse toujours les fans de comics dans le sens du poil. Son sens du spectaculaire et des cadrages improbables apportent également énormément d'énergie à un genre qui en a besoin, surtout par rapport à l'approche souvent très pragmatique des réalisateurs chez Marvel Studios », analyse Sullivan Rouaud. "Le problème, c'est que c'est aussi un style qui divise beaucoup par sa propension à trop en faire, et que le scénario doit être taillé au poil pour cette approche quasi exclusivement graphique du cinéma". Une technique rodée qui se résume souvent à des images soigneusement cadrées et léchées - presque picturales -, enrobées de ralentis, de zooms et de plans anormalement longs par rapport à la concurrence. Pas de montage épileptique chez lui malgré l’overdose d’action, Zack Snyder n’est pas Michael Bay. L’esthétique avant tout.

"Marvel a sa façon de faire"

Dans un monde où les executives sont rois, quelle est vraiment la marge de manœuvre de Snyder ? Ne serait-il devenu qu’un habile faiseur, un petit surdoué du style désormais incapable d’imposer sa vision sur des longs-métrages dont les budgets le dépassent totalement (on parle de 400 à 500 millions de dollars pour Batman v Superman, publicité comprise) ? Le producteur Charles Roven s’en défend : "Je suis un fan du travail de Zack depuis L’Armée des morts. À travers les années, il a grandi en tant que réalisateur", jure celui qui a notamment produit les Batman de Nolan, Man of Steel et Batman v Superman. Et quand on lui demande si Zack Snyder est aussi impliqué dans le processus créatif que l’était Joss Whedon à l’époque chez Marvel Studios, il botte en touche: "Marvel a sa façon de faire. Je ne peux pas dire si la relation de Whedon avec Kevin Feige et le reste de l’équipe de production est différente de la nôtre. Nous avons une collaboration très proche avec Deb et Zack sur les films où Zack n’est pas derrière la caméra. Et il a évidemment encore plus de libertés sur les longs-métrages qu’il réalise. On a trouvé une super dynamique de travail, on se complète bien. On s’assure que tous les films soient liés, même si au niveau du ton ils sont différents".

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À demi-mot, Snyder nous avouait en décembre dernier que son pouvoir décisionnel était limité au sein de Warner Bros. Il assurait devoir être "au courant de tout" ce qui se faisait dans les autres films "à cause de Justice League", mais qu’il ne voulait pas "être l’enfoiré" qui empêcherait les autres réalisateurs de faire ce qu’ils souhaitent. "Tant que les personnages arrivent là où ils doivent être à la fin de leurs films, je n’ai aucun problème".

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La marque Snyder

Pour Sullivan Rouaud, s’il y a une comparaison à faire entre Joss Whedon et Zack Snyder, "c'est surtout pour son rôle de réalisateur capable de faire du consulting auprès de ses collègues pour le bien commun de la cohérence entre les différentes productions, mais au niveau de l’écriture seulement. Et on a vu avec Batman v Superman que l'écriture a finalement été confiée en grande partie et dans l'urgence à Chris Terrio, preuve que Snyder est rappelé avant tout à ce qu'il sait faire : de très belles images". Une marque, une tête de gondole en forme d’appât à fans.

Après les critiques assassines de Batman v Superman, Snyder va devoir relever le défi corsé Justice League, réunion sur grand écran (et en deux parties) des plus grands héros DC Comics. Si Batman v Superman ne fait pas les résultats escomptés par Warner au box-office, il lui faudra sauver sauver sa peau avec le projet le plus risqué jamais tenté dans ce jeune univers cinématographique. On n’ose pas imaginer la pression qui pèse désormais sur ses épaules. 

François Léger