De l'autre cote du vent
Netflix

Présenté à La Mostra en septembre, The Other Side of the Wind, œuvre mythique d’Orson Welles enfin achevée après des décennies de spéculations, débarque ce 2 novembre sur Netflix.

La présentation de The Other Side of the Wind (De l’autre côté du vent), près de cinquante ans après le début de son tournage et 33 ans après la mort de son auteur, était l’immense événement patrimonial et cinéphile de la 75ème Mostra de Venise. Un moment précieux : après tout, on a rarement l’occasion de faire la queue pour voir le nouveau film d’Orson Welles… Que ceux qui n’ont jamais entendu parler de ce film sachent que l’histoire de sa production, rocambolesque et passionnante (comme à peu près tout ce qu’a fait Welles dans sa vie), fait justement l’objet d’un documentaire Netflix, lui aussi présenté à Venise hors-compétition, They’ll love me when I’m dead, signé Morgan Neville, l’auteur de 20 Feet from Stardom. Un docu un poil trop emphatique et survolté, « à l’américaine », mais qui regorge d’infos et d’archives démentes sur ce projet maudit, dont Welles avait commencé le tournage en 1971, tentant désespérément de le finir dans les années qui suivirent, avant qu’un imbroglio juridique et financier (impliquant notamment le beau-frère du Shah d’Iran) ne condamne le réalisateur de Citizen Kane à passer à autre chose. Une poignée de collaborateurs fidèles (dont le producteur Frank Marshall et le fils spirituel autoproclamé Peter Bogdanovich) s’était jurée d’achever un jour The Other Side of the Wind, pour honorer la mémoire du grand homme. Une promesse qui se révéla impossible à tenir, jusqu’à ce qu’un chèque providentiel de Netflix ne les aide à parvenir à leur fin.

Cinéma vérité
On regarde The Other Side of the Wind comme, disons, les rushs de Something’s Gotta Give (le film inachevé de Marylin), en chaussant ses petites lunettes d’historien, en sachant que ce n’est pas ‘le vrai truc’, juste une idée de ce qu’aurait pu être le film. Les auteurs de cette version disent avoir tout fait pour respecter la vision de Welles, ayant à leur disposition des mémos, des instructions laissées par Orson à ses collaborateurs, quelques scènes déjà montées… The Other Side of the Wind raconte la dernière nuit, avant sa mort tragique, de Jake Hannaford, un cinéaste génial (joué par un copain de Welles, John Huston), qui fête son anniversaire avec son entourage (dont un disciple un peu fayot joué par… Peter Bogdanovich !) Entre ces scènes tournées dans le style cinéma vérité à la mode au début des seventies, s’intercalent des images d’un film dans le film, le long-métrage qu’Hannaford n’arrive pas à finir, qui s'inspire lui de la modernité européenne selon Antonioni. Oja Kodar (la compagne de Welles) s’y promène nue dans de grands espaces désertés.

Vent glacial
Il y a bien sûr quelque chose d’assez vertigineux à regarder le film inachevé d’un génie du cinéma et de constater qu’il raconte les difficultés d'un génie du cinéma à finir son film… C’est le style de The Other Side of the Wind qui refroidit un peu. Granuleux, heurté, surdécoupé, basé sur le chaos et l’impro, pas très wellesien, il évoque l’ordinaire du ciné branché du Nouvel Hollywood, les ersatz de Cassavetes qui pullulaient alors. Dans They’ll love me when I’m dead, plusieurs intervenants avancent l’hypothèse que Welles entendait se moquer des codes du cinéma de l’époque, et du petit gotha hollywoodien hippie qui lui vouait un culte (caméos de Dennis Hopper et Paul Mazursky, personnage de critique grande gueule inspirée par Pauline Kael, etc). Peut-être bien. Mais aujourd’hui, malheureusement, la blague paraît un peu réchauffée… Là où The Other Side of the Wind fascine quand même, au-delà des inévitables scories, c’est par l’impressionnant souffle mortifère qui en émane, un vent glacial venu d’outre-tombe, où on entend la détresse de Welles, presque un appel au secours, celle du vieux lion blessé, méprisé par l’industrie, obligé de faire la manche pour pouvoir tourner, et qui fait mine de rugir une dernière fois, sans trop y croire vraiment lui-même. La prestation titanesque de John Huston, monstrueux en clone d’Hemingway imbibé de whisky et s’enfonçant peu à peu dans la nuit, n’est pas pour rien dans l’effet produit par le film. Elle réveillerait un mort.

The Other Side of the Wind (De l'autre côté du vent), sur Netflix le 2 novembre.