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Juste avant le carton de Papa ou maman, le scénariste Matthieu Delaporte a réalisé un thriller avec Mathieu Kassovitz, qui n'a malheureusement pas trouvé son public. Séance de rattrapage.

Il y a quelques mois, le magazine que vous tenez entre les mains profitait d’une actualité assez stimulante dans le paysage hexagonal pour ruer dans les brancards et titrer en couverture : « Cinéma français : et si on faisait des bons films ? ». En s’appuyant sur les sorties simultanées de Samba, Astérix - Le Domaine des DieuxThe Search et Un illustre inconnu, Première se réjouissait surtout de voir des auteurs consacrés s’affranchir enfin des règles de la petite épicerie locale pour accoucher d’œuvres prototypes qui tranchaient fort vis-à-vis de la concurrence. Quatre mois plus tard, le constat est sans appel : si deux d’entre eux, Samba et Astérix, ont correctement fonctionné — bien qu’en deçà des espérances — les deux autres sont parmi les bides les plus violents de l’année. Pire encore, à eux quatre, ces films ont cumulé fièrement une seule nomination aux derniers César, signe que la profession les a cordialement snobés et ne se reconnaît pas du tout dans l’idée de cinéma populaire qu’ils tentaient chacun à leur manière de convoquer.

Mince, Première aurait-il renié l’héritage historique de la ligne Marc Esposito pour devenir subitement le magazine de cinéma le plus à contre-courant de son époque ? « Vous auriez surtout mieux fait de titrer "Et si on faisait des bons flops ?" les gars... », nous avoue Matthieu Delaporte, le réalisateur d’Un illustre inconnu, en avalant sourire aux lèvres une gorgée de bière. Son polar psy coûteux et soigné a péniblement atteint les 100 000 entrées en salles, et déboule aujourd’hui en DVD. Pendant ce temps, sa pièce de boulevard Un dîner d’adieu affiche complet chaque soir depuis des mois, tandis que Papa ou maman, qu’il a coécrit, s’est imposé comme le premier hit comique de 2015. C’est peu dire que l’homme a dû vivre les six derniers mois de sa vie professionnelle comme un grand huit existentiel intenable. « Je ne te cache pas que ça a été très dur. Après, comme je suis un éternel optimiste, j’espère que le film connaîtra une seconde carrière en DVD. Ce qu’il y a de bien avec le succès, c’est que tu ne te poses pas de questions. Tu ne te couches jamais en te disant "pourquoi ça marche ?" C’est comme le début d’une relation amoureuse. L’échec par contre, ça te met des nœuds dans la tête, ça t’obsède longtemps et tout t’y ramène, comme une rupture. Le fait de ne pas être nommé une seule fois aux César m’a permis paradoxalement de tourner la page pour de bon. J’ai compris aussi que cette cérémonie n’est pas une session de rattrapage. Toutes les œuvres qui vont aux César ont été des succès publics ou d’immenses triomphes critiques. Le fait qu’on ne soit même pas arrivés à gratter une récompense technique signifie tout simplement que les professionnels ne sont pas allés voir le film. Ou peut-être qu’ils l’ont trouvé complètement nul ? »

Gueule de bois
Les questions se bousculent dans la tête de Delaporte. Coup de bol, il a surtout le mérite de se poser les bonnes. Ne comptez pas sur lui pour vous sortir la rengaine habituelle de la météo trop clémente ou invoquer la campagne d’affichage dans les couloirs du métro pour justifier l’échec d’Un illustre inconnu. Le cinéaste n’hésite pas à s’autoflageller : « On s’est vus trop beaux avant la sortie. On a voulu mettre en avant le côté mystérieux du film en se disant que les images du trailer et les retours presse suffiraient à exciter le public. On s’est trompés ». Il interroge surtout son propre rapport à un cinéma du samedi soir plus audacieux : « On réclame tous à cor et à cri de voir arriver des projets très originaux. Tous. Mais est-ce qu’on en a tant envie que ça ? Prends le film de Riad Sattouf, Jacky au royaume des filles. Super film, très singulier. J’ai adoré Les Beaux Gosses, j’aime aussi ce que Riad Sattouf fait en BD. Je vois le film arriver, ça a l’air complètement hors normes, le sujet m’intéresse... Eh bien je ne vais même pas le voir au cinéma ! À un moment, il y a un truc tellement spécial dans le projet que je trouve toujours une bonne raison de ne pas me déplacer. Alors que La Famille Bélier, beaucoup moins barré, là, j’y vais. C’est un peu comme cette idée que la chaîne préférée des Français c’est Arte, mais qu’au fond on regarde tous TF1. »

C’est l’éternelle question qui s’étirait tout au long du dossier de notre numéro de novembre : la place accordée en France au cinéma prototype et la volonté de ne plus capitaliser sur des formules. Delaporte, qui semble dorénavant en mesure de signer un carton comique d’un claquement des doigts et possède un savoir-faire indéniable, vient de s’y confronter avec beaucoup plus de violence que ses autres collègues de la table ronde organisée alors. Le fiasco de son film pourrait-il le condamner à ne plus oser pointer le bout de son nez en dehors du territoire confortable du vaudeville accrocheur ? « C’est compliqué de creuser deux sillons à la fois dans une même carrière. Au fond, il n’y a que Clint Eastwood qui soit parvenu à le faire. On devient vite des marques, malgré nous. Ça ne veut pas dire que je vais passer le reste de ma vie à tourner des comédies, impossible. Je vais évidemment réessayer. Mais j’ai de gros regrets, car au moment où j’ai réalisé Un illustre inconnu, la conjoncture était parfaite. L’industrie se posait beaucoup de questions et si les films de Michel Hazanavicius, de Riad Sattouf et le mien avaient marché, on aurait ouvert de sacrées brèches. On n’a malheureusement pas réussi à faire bouger les lignes. Mais ça va revenir un jour ou l’autre forcément ». Et si on se remettait (vite) à faire des bons films ?

Un illustre inconnu sort en DVD et blu-ray le 19 mars. Regardez la bande-annonce :