Toutes les critiques de Spider-Man : No Way Home

Les critiques de Première

  1. Première
    par Sylvestre Picard

    Difficile de parler de Spider-Man : No Way Home sans priver de son plaisir le public qui a sûrement essayé de naviguer dans la promo du dernier Marvel, elle-même louvoyant entre les injonctions corporatistes au mystère absolu et les spoils largement diffusés par la promo elle-même. Bref, tout ça pour dire que l'on sait dès le poster du film que Spider-Man (Tom Holland) va y affronter des super-vilains apparus dans les cinq premiers films Spider-Man, donc la première trilogie de Sam Raimi avec Tobey Maguire (initiée en 2002) et les deux films des années 2010 avec Andrew Garfield. La faute à un problème de sortilège mal lancé par Doctor Strange, qui chamboule le multivers et qui va aussi provoquer... Hum. Là, on rentre vraiment dans un territoire dangereux -en fait, en y repensant, on dirait bien que toute tentative de discours critique sur le film ne peut pas se priver d'évoquer de gros éléments-clefs de l'intrigue -ces fameux gros spoilers. Que faire, alors ? On va essayer d'y aller mollo : mais si jamais vous voulez rester absolument vierge, arrêtez de lire maintenant. Et voilà la bande-annonce pour vous redonner envie d'aller le voir le plus rapidement possible, au cas où.

    Donc, où est-ce qu'on en était ? Spider-Man voit son identité révélée à la fin de Far From Home, et on l'accuse d'avoir tué le gentil Mysterio. Voyant sa vie s'effondrer, tout comme celle de ses intimes, il demande à Doctor Strange de lancer un sort pour effacer le nom de Peter Parker de la tête de toute la planète. Le sort déconne, le multivers se fissure, et des méchants débarquent : oui, le film fait bien réapparaître Octopus (Alfred Molina), le Bouffon vert (Willem Dafoe), l'Homme-sable (Thomas Haden Church), plus le Lézard (Rhys Ifans) et Electro (Jamie Foxx). Mais pas Venom (Topher Grace) ou Harry Osborn (James Franco). Et d'autres personnages surprises, évidemment : en théorie, c'est formidable puisque le cinéma s'empare d'une technique -les passages de personnages d'une série à une autre- qu'on pensait réservée aux cases de la BD, un médium qui n'a pas trop de souci budgétaire à se faire. Mais voilà, ces références et caméos sont certes réjouissants, mais le film a du mal à s'en emparer pour faire autre chose qu'un gros fan service. Ces personnages appartiennent à d'autres productions, donc d'autres écritures, les acteurs ont pris entre vingt et dix ans dans les dents et les voilà brutalement aplatis à la formule proprette du Marvel Cinematic Universe (un écueil que le joli Spider-Man : New Generation, fondé également sur la rencontre des personnages et des multivers, n'avait pas à gérer).

    En parlant de propreté, Spidey essaie moins de vaincre ses super-adversaires que de les guérir, chacun étant porteur de ses super-pouvoirs comme d'une sale maladie. Le mal est une pathologie, un méchant rhume qui peut se corriger à coups de sérum ? On peut voir ce procédé narratif, au fond pas très élégant, comme un flirt avec le révisionnisme, une tentative de corriger et de résoudre les films d'avant qui avaient l'affront de ne pas suivre pas la bonne vieille formule Marvel -l'un des story arcs favoris des producteurs étant la rédemption de méchants jamais si méchants en fin de compte (oui, même Thanos). Dommage, parce que ce tremblement de terres parallèles reste une bonne idée de cinéma : la réapparition de deux autres personnages-clefs donne lieu à une scène sans conteste extraordinairement émouvante. On rêve de ce qu'une franchise plus audacieuse aurait fait de cette possibilité de cinéma vertigineuse de pouvoir s'emparer de ses incarnations passées : mais voilà, nous sommes dans le MCU et il faut sacrifier à son paradigme. Holland reste charmant, Zendaya est formidable, Cumberbatch est super, l'humour est aussi inconséquent que ses personnages, tout le monde s'amuse bien et les scènes d'action sont même suffisamment rigolotes pour maintenir l'attention (une jolie scène d'autoroute où Spidey fait presque du vrai boulot de super-héros, et une course-poursuite dans la "dimension-miroir")... Au-delà de son choc des multivers qui occupe quand même presque tout le film, No Way Home doit aussi s'envisager comme la conclusion de la trilogie Spider-Man avec Tom. Encore un paradoxe à résoudre ? Non, car de ce côté-là, ça roule plutôt pas mal : Marvel a une sérieuse expérience dans le domaine du super-mélo, et les fans seront aux anges -notamment dans la scène de fin, suffisamment ouverte et fragile pour qu'on meure d'envie de vous la raconter, mais là, vraiment, on rentrerait dans la voie du divulgâchage le plus hardcore -une véritable voie sans retour, en somme.