Toutes les critiques de Antoinette dans les Cévennes

Les critiques de Première

  1. Première
    par Thierry Chèze

    On a découvert Caroline Vignal en 2000 avec son premier long métrage, Les Autres Filles. Un récit initiatique sur les premiers émois d’une ado cherchant à s’extraire d’un cocon familial en pleine déliquescence. Sélectionné à la Semaine de la critique et accueilli chaleureusement par la critique, ce film n’a pourtant pas permis à sa réalisatrice d’enchaîner… Et ce n’est donc que vingt ans plus tard qu’elle nous donne de ses nouvelles avec ce qui est à ce jour l’un des plus beaux scénarios de cette année 2020. Pour sa limpidité, son refus de toute épate facile et sa manière de jouer avec le spectateur et ses a priori en délivrant un portrait de femme d’une densité rare dans le cinéma français. L’entrée en matière d’Antoinette dans les Cévennes peut en effet laisser croire aux prémices d’un vaudeville classique avec son sempiternel trio mari-femme-maîtresse. Antoinette est une institutrice qui a pour amant Vladimir, le père d’une de ses élèves. Elle attend les vacances d’été avec impatience car Vladimir lui a promis une semaine en amoureux rien qu’eux deux. Sauf que, la veille du départ, Vladimir, tout contrit, vient lui expliquer qu’il doit renoncer à leur escapade pour aller marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille. Mais promis, juré, il sera de retour dans une semaine. Un temps KO, Antoinette décide de ne pas rester bêtement plantée à attendre et part sur un coup de tête sur ses traces dans les Cévennes avec, comme compagnon de ses recherches et balades… un âne nommé Patrick, animal pas simple à gérer pour cette néophyte en rando montagnarde.

    UN AUTRE FILM
    Cette phase d’installation est très rapide, le vrai-faux suspense autour de ses retrouvailles avec son amant tout autant. On comprend vite que cette ambiance de vaudeville n’est qu’un leurre que Caroline Vignal envoie d’ailleurs valdinguer dans le décor lors d’un échange musclé aux dialogues finement ciselés entre la femme qui fait comprendre qu’elle sait tout mais que son mari restera quoi qu’il arrive avec elle et la maîtresse qui fait mine de nier tout en étant ravagée par cette série d’uppercuts. Antoinette dans les Cévennes devient alors un autre film. Ou plutôt révèle au grand jour celui qu’il était depuis le début mais qu’on ne voyait pas. Le portrait d’une quadra non pas dépendante d’un amour, mais en quête de son bonheur, envers et contre le regard et les a priori de tous. Le film raconte avec une perspicacité jamais dupe la vision des deux sexes sur cette femme venue seule en randonnée. Une briseuse de couple en puissance pour les unes, un cœur à prendre, une pauvre ère pathétique ou une héroïne pour les autres. Mais tout cela glisse sur Antoinette, de plus en plus libérée du qu’en-dira-t- on au fil de ce voyage initiatique mené sans préjuger du lendemain et de sa complicité grandissante avec cet âne, bien moins tête de mule qu’il n’y paraissait.

    SENSIBILITÉ EXTRÊME
    Caroline Vignal n’assène jamais les choses. Son récit tend simplement un miroir aux spectateurs pour leur montrer que c’est leur regard à eux sur Antoinette qui évolue alors qu’elle, depuis le départ, n’obéit à aucun archétype. Dans ce rôle, le plus beau, le plus dense depuis ses débuts au cinéma, Laure Calamy déploie une palette de jeu qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de montrer jusque-là avec une justesse et un enthousiasme qui comptent pour beaucoup dans le bonheur pris devant les pérégrinations d’Antoinette. Avec des seconds rôles (Benjamin Laverhne et Olivia Côte en tête) au diapason, Antoinette dans les Cévennes s’impose comme la pépite de cette rentrée. Un film qui n’a jamais peur de ses émotions et dont la sensibilité extrême et riche en éclats de rire comme en crises de larmes ne verse à aucun moment dans la sensiblerie. Espérons que Caroline Vignal ne nous laisse pas encore vingt ans sans nouvelles !