Après le triomphe de Lady Chatterley en 2006 (5 César, 420 000 entrées), Pascale Ferran a passé beaucoup de temps à conceptualiser et promouvoir la notion de "cinéma du milieu", au sein du "Club des 13" et dans le rapport "Le milieu n’est plus un pont mais une faille", remis en 2008. Si on a bien compris les enjeux économiques du "milieu" (des films aux budgets conséquents, pas fauchés mais pas inflationnistes non plus), sa définition esthétique, elle, continue de nous glisser entre les doigts. C’est quoi, exactement, le cinéma du milieu ? Une manière de faire fructifier l’héritage de Truffaut ? Une tentative de réconcilier les fans de Vincent Macaigne et ceux du Petit Nicolas ? Un consensus ou une troisième voie ? Bird People, le premier long de Pascale Ferran en huit ans que Canal+ diffuse ce soir, starring Anaïs Demoustier, Josh Charles et des petits moineaux, tombe à pic pour redistribuer les cartes et faire en sorte qu’on se pose enfin les bonnes questions. Qu’on l’aime ou pas, le film est en effet suffisamment singulier, "autre", radical et prototypique pour faire passer l’idée que le milieu n’a pas forcément vocation à être au centre. Euh… hein ? Tout de suite, quelques explications avec la principale intéressée.Pascale Ferran, Bird People est-il un film du milieu ?Ah oui, absolument ! Ça correspond à la définition que j’en ai toujours donnée : un cinéma d’auteur audacieux, dans lequel le metteur en scène exprime un point de vue singulier sur le monde. C’est ambitieux narrativement ET financièrement. A cause, justement, de cette représentation du monde, Bird People demandait des moyens conséquents, en termes de décors, de figuration, d’effets spéciaux… L’expression « cinéma du milieu » désigne des films de ce type de budgets : quelque part entre 3 et 8 millions d’euros.Pour reconnaître un film du milieu, le critère économique est donc plus important que le critère esthétique ?Non, c’est l’addition des deux. Certains ont essayé de cantonner ça au budget mais ce n’est pas que ça. Comme je vous le disais : c’est un type de représentation du monde qui nécessite certains moyens. Ceci dit, on peut faire de très grands films avec de très petits budgets. Tomboy ou Bande de filles, par exemple. L’un coûte 800 000 euros, l’autre 2,8 millions. Si je me suis exprimée aux César à ce sujet, c’est parce que j’avais la sensation que ces films-là étaient en danger. Et ça me paraissait vraiment catastrophique parce que ce sont des films constitutifs de l’héritage du cinéma français. Une part du cinéma qui m’importe particulièrement.On parle de l’héritage de Truffaut, là, c’est bien ça ?Truffaut est un cas de figure intéressant, parce qu’il a fait aussi bien des films du milieu que d’autres beaucoup moins chers. Mais moi, je revendique plutôt une filiation avec Resnais et Demy. Mes fondations cinéphiliques viennent de là. Ce sont eux qui, quand j’étais adolescente, m’ont donné un désir très fort de faire du cinéma.Comme vous êtes devenue, ces dernières années, l’ambassadrice du milieu, est-ce que vous vous êtes donné pour mission de faire de Bird People un film emblématique du genre ?Ah non, quand même pas. Tout simplement parce que je ne fonctionne pas comme ça… Lady Chatterley était déjà un film du milieu, j’ai un goût pour ces films-là et l’envie d’en faire, mais j’aurais très bien pu concevoir quelque chose de plus petit. Financièrement parlant.Vous avez toujours l’économie en tête quand vous écrivez ?Oui, c’est nécessaire. Il faut avoir une idée du cadre global. Même si, quand j’écrivais Bird People, je n’avais aucune idée de combien ça allait coûter. La partie avec les oiseaux, je ne savais pas comment on allait s’y prendre… Mais penser l’argent, c’est décisif pour un réalisateur. Les contraintes permettent de réfléchir. Savoir qu’on n’a pas tous les droits, ça permet d’identifier les priorités.Est-ce que cette idée de cinéma du milieu n’exprime pas aussi la nostalgie des réalisateurs français pour un type de public en voie de disparition ? Ces spectateurs qui faisaient un triomphe aux films de Resnais, de Truffaut ou de Demy, qui avaient un avis sur ces films-là parce que c’était une pratique culturelle, de la même façon que tout le monde aujourd’hui à un avis sur les séries télé…C’est vrai que c’est chaud aujourd’hui… Un certain public vieillit, donc ça fait un peu peur. Mais je trouve quand même le public français très curieux. Et j’ai aussi tendance à penser que ce sont ces films-là qui peuvent le mieux marcher. Parce que leur seuil de rentabilité – autour de 500 000 spectateurs – n’est pas très élevé… Regardez Camille redouble, les films d’Ozon, La Vie d’Adèle… Ce sont des films qui ont de meilleurs seuils de rentabilité que des gros films à 25 millions d’euros qui, eux, sont condamnés à faire 5 millions d’entrées – ce qui est finalement assez rare. Il faut aussi savoir que les films du milieu s’exportent beaucoup. Ils vont à Cannes, dans les grands festivals. Ils voyagent. Les gros films, eux, sont souvent franco-français.En fait, le vrai problème des films du milieu, c’est l’expression pour les désigner, non ? Milieu, ça fait centriste, mou…Oui, je sais. Ou « milieu » comme dans « le petit milieu du cinéma »… Ce n’est pas moi qui ai inventé l’expression, je l’ai reprise dans un entretien de Bruno Pésery, le producteur de Resnais, qu’il avait donné à l’époque d’On connaît la chanson. Et je l’ai reprise sans l’interroger. C’est vrai que ça fait ventre mou alors que c’est tout le contraire.Bird People permet de remettre les pendules à l’heure. C’est une proposition de cinéma assez radicale…Bien sûr. Mon film de chevet, c’est Mon oncle d’Amérique : un film expérimental qui fait 900 000 entrées !Comment on pourrait les appeler, ces films, alors ?Désolé, je n’ai pas de meilleure expression pour l’instant. Mais j’y réfléchirai…Interview Frédéric FoubertBird People de Pascale Ferran, avec Anaïs Demoustier, Josh Charles et Roschdy Zem, diffusé ce soir à 23h10 sur Canal+.