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Avant de se retrouver dans la course aux Oscars, Tom McCarthy avait réalisé la première version du pilote de la série HBO. Le résultat, jugé catastrophique par la chaîne, fut quasi-intégralement retourné sans lui. Brutal.     

A la télévision, le réalisateur peut vite se transformer en variable d’ajustement. Tom McCarthy l'a un peu appris à ses dépens en 2009, écarté de Game of Thrones après qu’il en a réalisé un premier pilote. Tout avait pourtant bien commencé. A l’époque, McCarthy est dans les petits papiers de HBO pour avoir fait l'acteur une saison durant dans The Wire. Dans l'ultime salve d'épisodes de la fresque de David Simon, il était idéalement détestable dans le rôle de Scott Templeton, un journaliste du Baltimore Sun à la déontologie douteuse. Comme réalisateur, il a la cote sur le circuit indé que surveille de près la chaîne new-yorkaise. Son long-métrage The Visitor a fait sensation en festival et McCarthy a déjà dirigé Peter Dinklage dans The Station Agent. Le comédien sera l'une des stars de Game of Thrones, leur amitié est un atout.

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Voilà donc McCarthy, réal' de films intimistes à petit budget, à la tête de la première incursion de HBO dans l'univers de la fantasy, ses châteaux forts, ses batailles en armure et ses créatures fantastiques pour un tournage homérique entre Écosse et Maroc (dans des décors du Kingdom of Heaven de Ridley Scott). Montage et mixage terminés, le pilote est présenté à Michael Lombardo, le patron de la chaîne. Dans une longue interview accordée à Vanity Fair en 2014, les deux showrunners D.B. Weiss et David Benioff se souviennent de cette première projection à huis clos. Un naufrage. A l'écran rien ne fonctionne. On ne comprend rien à la géographie, aux liens qui unissent tous ces personnages aux noms compliqués et globalement antipathiques... Pour HBO, ce sont trois ans d'investissement qui sont remis en cause. Mais vues les sommes déjà investies, geler définitivement le projet est inenvisageable. Il faut donc tout reprendre.

Raccords impossibles

Comme à Winterfell, en écho à une scène marquante du pilote, quand une faute est commise, les têtes doivent tomber. Celles des interprètes initiales de Catelyn Stark et de Daenerys, Jennifer Ehle et Tamzin Merchant, sont les premières à rouler. McCarthy fait partie de la charrette. On lui concèdera bien le titre honorifique de "consulting producer" au générique du premier épisode, mais celui de réalisateur revient à Tim Van Patten. Ce vétéran de la chaîne, connu pour Les Soprano et habitué des tournages à grande échelle sur Rome ou The Pacific, ne devait tourner que le deuxième épisode. Il est appelé à la rescousse pour reshooter la quasi-intégralité du pilote, délocalisant cette fois le tournage à Malte et en Irlande du Nord, ce qui complique les raccords avec les séquences filmées par McCarthy. Ne restent du travail de ce dernier, dans la version finalement diffusée, que quelques malheureux bouts de séquence (dont les plans où Tyrion Lannister porte une perruque blond platine, abandonnée par la suite). Cruel pour le réalisateur de Spotlight à qui l'on n'a pas laissé de seconde chance quand le fiasco était au moins autant imputable à des défauts de script ou de production. 

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Car Benioff et Weiss sont les premiers à le reconnaître, leur scénario manquait de clarté. Ils avaient par exemple tout simplement omis de faire figurer dans les dialogues le lien frère-soeur qui unit Jaime et Cersei Lannister. Pour la révélation choc de l'inceste, capitale dans le pilote, c'est un peu raté... Les deux scénaristes revirent par la suite largement leur copie pour rendre la tâche de Tim Van Patten plus aisée et faire du show l’une des valeurs sûres de la télé US. Partie prenante du développement de l’esthétique de la série, impliqué dans le casting de certains des acteurs, Tom McCarthy est, lui, le grand oublié de cette aventure. Echaudé, il n’a depuis pas remis les pieds à la télé. Encore une victime, indirecte, de George R.R. Martin.

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