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Un nouvel exercice d'hypnose du duo Hadmar et Herpoux

Même quand on n’est pas convaincu à 100 % par une série du duo Hervé Hadmar-Marc Herpoux, on répugne toujours un peu à se l’avouer. Il faut dire qu’on les aime vraiment beaucoup, ces deux-là. Le grand réalisateur chauve d’un côté, le scénariste chevelu de l’autre, tous deux également volubiles et passionnés. Ça fait dix ans qu’ils travaillent à repousser les frontières de ce qu’il est permis de faire à la télé française, glissant, dans leurs séries policières atmosphériques, un maximum d’influences lynchiennes, carpenteriennes, sopranesques, six-feet-underesques. Ils le font en clair sur France 3 (Les Oubliées), en crypté sur Canal + (Pigalle, la nuit), façon mini-série (Signature) ou feuilleton à suivre (Les Témoins). On aime autant regarder leurs créations qu’en peser le pour et le contre une fois la télé éteinte. Verre à moitié vide : leurs récits alambiqués se diluent parfois en cours de route, leur goût de la citation et de l’hommage s’avère à l’occasion contre-productif et étouffant. Verre à moitié plein : Hadmar et Herpoux sont fous, ambitieux, et quand le trip est réussi, on plane vraiment. Jusqu’à preuve du contraire, ils sont les seules personnes au monde à nous avoir permis d’employer un jour les mots « hypnose » et « France Télévisions » dans la même phrase.

 


 

Au-delà des murs est sans doute ce qu’ils ont fait de plus barré, de plus « ovniesque », de plus étrange et touffu, sans doute encouragés par la chaîne Arte (peu effrayée ces derniers temps par les concepts casse-gueule), le succès des Revenants sur Canal (une série fantastique française qui marche !), et le format mini-série, qui permet de prendre des risques sans avoir peur de perdre tout le monde en route. Les trois épisodes sont diffusés d’un bloc, une manière de dire au spectateur que c’est comme ça qu’il vaut mieux les consommer, d’une traite, sans cligner des yeux ni chercher à rompre le charme.
 
Le pitch ? Une femme s’installe dans une mystérieuse maison vide. Point final. Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus. C’est en tout cas suffisant pour comprendre d’emblée qu’on est devant un double portrait, celui d’une femme et celui d’un lieu, une « série-cerveau » (comme aurait dit Deleuze s’il avait regardé des fictions françaises sur Arte) qui va prendre la forme d’une promenade psy dans un labyrinthe. Sachez juste que, comme dans le roman La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski, la demeure est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur… Suffisamment grande en tout cas pour que Hadmar et Herpoux y casent un gargantuesque best-of de leurs influences et obsessions : Silent Hill, La Maison du Diable, Shining, La Jetée, Répulsion, Resident Evil, Dark Water, Alice au pays des merveilles… Ça fait beaucoup, bien sûr, peut-être même un peu trop, mais les œuvres d’Hadmar-Herpoux ont toujours carburé à ces signaux de reconnaissance envoyés à leurs spectateurs, pour que ceux-ci apprécient ensuite la façon dont ils les mettent à leur mains et les replongent dans un bain culturel francophone (on dit « francophone », car c’est une série franco-belge, dont la star est Veerle Baetens, l’actrice d’Alabama Monroe).
 
L’espace d’un instant, pendant le premier épisode, le duo réussit quelque chose d’exceptionnel, vraiment rare, répondant à une question que finalement peu de gens se sont posée (exception faite de quelques génies US type David Chase ou David Milch) : ça ressemblerait à quoi une série muette, expérimentale, uniquement drivée par sa mise en scène ? L’hypnose naît là, dans cette volonté revendiquée haut et fort de balancer les dialogues par les fenêtres, et de questionner la capacité de la série télé moderne d’être un médium d’images plutôt que de « bla bla » (« yak yak », comme disait le créateur des Soprano quand il voulait résumer tout ce qu’il détestait à la télévision). Ça se corse ensuite un peu, quand le martèlement permanent du sous-texte psychanalytique prend le pas sur l’intrigue, ou quand le jeu affecté de certains comédiens et l’aspect très théâtral des décors donnent l’impression d’être devant une création d’avant-garde au Festival d’Avignon – on admire le spectacle de façon un peu lointaine, sans être autant immergé et bouleversé que ne le souhaiteraient les auteurs. Ça passe ou ça casse. Mais combien sont-ils à s’autoriser des trucs pareils ? A imaginer un trip de trois heures peuplé de créatures arachnéennes, de corridors blafards et d’apparitions creepy de Geraldine Chaplin en gouvernante hitchcockienne ? A envisager chaque nouvelle création comme un saut de l’ange artistique ? Non, décidément, vous ne nous ferez pas dire de mal de Hadmar et Herpoux.

Au-delà des murs à voir à partir de ce jeudi soir, sur Arte.