Premières images d'Athena, de Romain Gavras
Netflix

Le nouveau film de Gavras est une tragédie antique sur fond de bitume. Explosive et intrigante.

On s’assoit devant Athena et on se retrouve en terrain connu. Romain Gavras aux manettes, Ladj Ly à la coscénarisation, une cité qui prend feu, des flics qui tirent sur les jeunes…

Le début du film est proprement hallucinant, presque wagnérien avec ses plan-séquences frénétiques, sa mise en scène électrique qui attrape le spectateur pour ne plus le lâcher. Tout commence dans le chaos : après la mort d’un type de la cité, une bande investit - comme dans un western - le commissariat du coin pour prendre des armes et un car de police. Mais cette embardée s’arrête vite et on retourne, avec les jeunes, dans le quartier vite encerclé par la police. Le western devient film de siège, avant de muter en pure tragédie. Et comme disait Sophocle : « le malheur est en marche »

Athena n’est pas La Haine ni même un Misérables 2. Le cinéaste ne cherche pas à répondre aux sensationnalisme des chaînes d'infos (même si c’est un peu là), ne prétend pas transcrire la colère et la frustration des quartiers qui ne s’abolissent que dans les conflits ou la mort (c’est aussi là quand même). Gavras n’a pas fait un énième film sur la banlieue, ni un nouveau film de banlieue. Comme il le répète à l'envi, Athena est donc une tragédie. Unité de temps, de lieu et d’action, tout y est, jusqu'aux thématiques (la fidélité aux siens, l'opposition entre le devoir familial et la loi du roi) qui rappellent les grandes pièces de Sophocle ou Euripide. Les trois héros d’Athena sont en effet les frères de la victime : il y a Abdel, joué par Dali Benssalah, impressionnant, un soldat revenu du front, loyal et légaliste, qui cherche au début à calmer la violence des révoltés et surtout celle de son cadet. Car Karim (Sami Slimane, une découverte) réclame la vengeance et attise la violence, la haine et la destruction. Il est aiguillonné par l’ainé, Mokhtar, un criminel totalement cintré. Sur la dépouille encore fumante du frangin, se noue donc le drame familial, désaccord fatidique qui menace d'entraîner dans son sillage la ruine de la cité mais aussi, de la patrie et pourquoi pas du monde.

La puissance du film tient à la manière dont le cinéaste déploie la dimension mythologique du conflit intime dans des décors ultra quotidien et super réalistes. Ce mélange lui permet d'écarter les stéréotypes (sur les fils d’immigrés, la banlieue, la délinquance, la radicalisation, les flics, les jeunes), tous démentis par les faits. Et en brouillant tous les repères, Gavras finit même par toucher une forme d’abstraction théâtrale intense. Mais si son portrait de frangins insurgés impose cette radicalité, il en constitue le point limite aussi. On regrettera par exemple qu’il rajoute des personnages périphériques (le CRS joué par Bajon ou celui d'Alexis Manenti) qui finissent par dissoudre son point de vue politique, diluant le discours initial jusqu’à une scène finale qui impose une relecture du film qu’on aimerait pouvoir questionner - mais qu'on ne fera pas ici.

Mais aussi chaotique et ambigu soit-il, Athena est peut-être, au fond, à l’image d’un pays au bord du gouffre.