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David Bowie, sans conteste, était un génie. Que l’on ait aimé toute l’œuvre du personnage, ou seulement quelques albums, la trajectoire de cet extraterrestre de la pop a au moins une fois croisé celle de tout amateur de musique qui se respecte. Alors que Blackstar, son nouvel album monumental vient de sortir, David Bowie décide de quitter cette terre et d’aller voir ailleurs si son talent touchera autant d’autres mondes et d’autres civilisations. Hommage à un Homme qui venait d’ailleurs, et qui met toute sa planète d’accueil en deuil.

On a lu tout et son contraire sur David Bowie. Normal, le bonhomme a tout fait, touché à tout (cinéma, musique, mode), flirté avec les plus grands, participé à la création de pas mal de courants musicaux, certains qu’il a anticipé, d’autres dont il s’est inspiré. Avant Bowie le musicien, Bowie l’acteur, Bowie l’androgyne, Bowie l’alien, Bowie l’inspirateur, et Bowie le copieur, on se souviendra surtout de "Bowie le Caméléon", quand on repensera, à tête reposée, à la brillante carrière de ce grand grand monsieur du rock (au sens large). Bowie était un artiste, tout simplement. Esthète du bizarre et érudit fasciné par l’étrange, Bowie était un type qui a su donner ses lettres de noblesse à un phénomène contre-culturel, la culture pop-rock (et électro vers la fin), tout en gardant assez de fantaisie – pour ne pas dire de folie - pour délivrer des œuvres ambigües, tordues, toujours borderline et surprenantes.

Un parcours exemplaire

C’est bête à dire, mais mis en perspective avec son époque, l’œuvre David Bowie est un sans faute, même quand il décide de répondre aux sirènes du marketing en 1983 avec Let's Dance (album dans lequel il reprendra "China Girl" au profit de son ami – alors vraiment dans la débine – Iggy Pop). David Bowie a toujours été, soit dans son temps, soit à 20 000 années lumières de la hype dominante, et même quand il suit (l’electro-indus Outside, le drum’n’bass Hearthling), il accouche de chefs-d’œuvre, d’albums marquants, de monolithes incontournables pour tout amateur de musique exigeant. Celui qui avait adopté l’art du revirement musical comme une stratégie créative continu, a également toujours su s’entourer, ou s’inviter sur les projets les plus innovants et passionnants de son temps. Pour ne citer que quelques collaborations/interventions parmi les plus récentes, on découvrait il y a peu que Blackstar, son tout nouvel album, bénéficiait de la présence de James Murphy de LCD Soundsystem, et que Kendrick Lamar, le jeune rappeur Californien, l’avait grandement influencé. On le croisait également sur le Reflektor d’Arcade Fire en 2013, ou encore sur Return To Cookie Mountain, album mythique de TV on The Radio en 2006. Entre temps, il signait avec The Next Day, son avant dernier disque, un brillant comeback, entre nostalgie et modernité, qui en laissa plus d’un stupéfait.


L’homme aux mille vies

Artiste schizophrène, Bowie était aussi mystérieux dans son intimité que dans sa vie publique (il ne laissa rien filtrer sur son cancer, que très tardivement). Sexuellement ambivalent, extrêmement intelligent, communiquant surdoué, le bonhomme ose tout, même les excès. Qu’il s’agisse de drogues, de gestes ostentatoires et provocateurs (de retour d’un tumultueux séjour Los Angeles en 1976, il salut la foule qui l’accueil d’un impeccable salut hitlérien), Bowie était le parfait "21st Century Schizoid Man". Accusé de fascination pour le nazisme, il débarque en 1976 accompagné d’un orchestre entièrement composé de musiciens noirs pour Station to Station et produit une musique qui doit autant à Nil Rodgers qu’à Kraftwerk, mélangeant des genres supposés antagonistes. Avec le producteur et musicien Brian Eno, il s’initie à l’art de la production, et aux musiques allemandes d’avant-garde (Harmonia ou Neu!) et signe ce que les spécialistes appelleront sa "trilogie" Berlinoise, se posant comme le précurseur de la new wave. Ami fidèle, il tire de la panade des musiciens cultes tels qu’Iggy Pop ou Lou Reed, deux personnalités dont il relance la carrière tout en vampirisant les egos. Une capacité à inspirer et à s’inspirer lui vaudra autant d’admiration que de haine.

Désormais tous orphelins

Evidemment, on ne compte plus les groupes, projets, figures, du rock, de la pop, de la new wave et du post-punk ou de l’électro influencés (et pas toujours uniquement musicalement) par l’œuvre protéiforme de David Bowie : LCD Soundsystem, Savages, Soulwax, Matthew Dear, Arcade Fire, Hot Chip, Madonna, Kayne West, Disappears (qui rejouaient tout Low récemment au Musée d’Art Contemporain de Chicago), Joy Division (Ian Curtis était un fan absolu de David Bowie) et New Order, Bauhaus, Björk, Pharrell Williams, une bonne part de la scène électro, tous sont orphelins de Bowie aujourd’hui. Mais le deuil ne sera pas uniquement porté dans le domaine de la musique, car l’artiste qui avait le don pour synthétiser l’esprit de son temps, était aussi continuellement en quête d’autre chose. Bowie était un intellectuel, qui s’inspirait et inspirait les autres, à partir de médiums que beaucoup auraient pu juger disparates et opposés. Il fut un temps la star d’un jeu vidéo par exemple, et collabora avec le compositeur David Cage sur le jeu The Nomad Soul en 1999. Il fit aussi beaucoup l’acteur, incarnant un être débarqué sur terre par erreur dans The Man Who Fell To Earth, un vampire en couple avec Catherine Deneuve dans Les Prédateurs, un soldat rebelle à l’autorité dans Furyo, ou Andy Warhol dans Basquiat, pour n’en citer que quelques-uns.

Ce matin, à l’annonce de son décès à 69 ans - d’un cancer contre lequel il se battait depuis 18 mois –nul doute que la planète entière retient son souffle (à 13h15, on recensait plus de 2 millions de tweets à la mémoire de l’artiste). Au milieu des violences et de la folie contemporaine, les êtres comme David Bowie savaient mettre en perspective, nous faire oublier, le temps d’un album, d’un morceau, la pesanteur d’être humain. 

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