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Les deux femmes (fatales) de Live By Night évoquent le tournage du nouveau thriller de Big Ben.

Joe Coughlin est un petit malfrat qui, dans les années 30, quitte son Boston natal, monte un trafic de rhum en Floride pour devenir un parrain local. Taillé à l’ancienne, fluide et lumineux, Live by Night est un film old school qui fait dialoguer John Huston et Raoul Walsh, David Lean et le Warren Beaty de Reds. C’est très beau, rythmé, plein d’action, et surtout habité par deux actrices extraordinaires. Sienna Miller joue Emma Gould, la femme d’un parrain de Boston qui tombe amoureuse de Joe ; Saldana, elle, incarne Graziella, femme forte qui séduit Joe une fois qu’il a quitté Boston… deux femmes, deux pôles et deux actrices qu’on a pu rencontrer à Los Angeles pour une interview sans fard (mais où on parle quand même un peu de maquillage).

Zoe, Sienna, vous connaissiez les romans de Dennis Lehane avant de jouer dans Live By Night ?
Sienna Miller : Moi non, je n’avais pas lu ses livres, mais j’ai rattrapé mon retard depuis. C’est un auteur incroyable… Rien que le fait que Scorsese, Eastwood et Ben aient adapté ses romans en dit long sur son sens du storytelling et sa facilité à peindre des personnages très denses…
Zoe Saldana : moi j’aime la manière qu’il a de plonger le lecteur dans les années 20 ; c’est extraordinaire. Dans Live By Night, il se sert des codes des thrillers de l’époque, mais réussit à rendre les choses vraies, authentiques
S.M. : C’est son côté bostonien (sourires)

C’est une blague ou il y a des sous-entendus qu’on a raté ? Ben vous a montré Boston ?
Z.S. : Il dirigeait, jouait, réécrivait le script… constamment. On n’a pas eu le temps de faire trop de tourisme sur ce film. Mais j’ai découvert à la fin du tournage que l’on avait tourné à Savannah toutes les scènes dans sa propriété. Classe…
S.M. : Et je pensais juste à une fête de fin de tournage : on a été voir un match des Patriots dans un pub. Je me suis rendu compte que c’était vraiment le roi de la ville. C’était fou. Les gens dans le bar l’applaudissaient, lui parlaient comme à un pote… Je plaisante, mais tout Ben est dans ce souvenir que je garde. Un mélange de style et de proximité. Et son incroyable empathie pour les vrais gens…

Zoe vous parliez du mélange entre le genre et le réalisme. Ca rejoint finalement le gros défi du film. Live By Night joue sur un fantasme de cinéma tout en ne sombrant jamais dans les clichés
S.M. : Oui, exactement. Et pour moi si Ben y est arrivé c’est en partie grâce à la production design. Les costumes de Jacqueline West sont dingues ! Elle a fait un boulot formidable. Jacqueline est d’une intégrité incroyable : elle a fait venir par bateau des boutons depuis le Danemark ou l’Allemagne pour que ça soit vraiment d’époque. Elle avait des photos de tous les mafieux et de toutes leurs femmes de l’époque. Frank Neatty, Al Capone et Ma Josephine Coughlin, et elle se référait tous le temps à ces photos pour s’inspirer d’un accessoire, d’une fringue… C’était fou de la voir travailler.
Z.S. : le maquillage aussi était très impressionnant
S.M. : J’ai toujours l’impression de changer de tête à chaque fois que je joue dans un film – à tel point qu’on peut penser que ce sont des actrices différentes qui jouent dans… disons Foxcatcher, American Sniper et ce film-là. Mais pour Live By Night c’est encore plus fou parce qu’il y a une énorme différence entre les scènes du début et le final…
Z.S. : Mais dans ce film, les costumes et le maquillage étaient essentiels parce qu’ils en disent très longs sur nos personnages. Les robes de Graziella sont constitutives du personnage. Jacqueline a travaillé très longtemps sur ce film - 4 ans je crois - et ça se sent dans toutes les scènes.

Quatre ans ?
Sienna Miller : Oui, Live By Night a mis du temps à se monter. Je crois que ça devait être un film de Leonardo di Caprio, puis Ben l’a récupéré, il a tourné Batman et d’autres films en tant qu’acteur… Moi, j’ai auditionné 4 ans avant le début du tournage et entre temps, Ben n’a pas arrêté de travailler sur le script, les décors, les costumes. Tu es arrivé quand sur le projet Zoe ?
Z.S. Ouh là… Moi j’étais enceinte quand Ben a commencé à m’en parler. Je m’en souviens bien parce qu’au début, j’étais réticente. J’aimais beaucoup l’histoire mais je lui ai dit : «  tu me vois réellement dans les 20’s ? ». J’adorais le fait qu’il y ait 3 rôles féminins très forts et que leur impact sur le personnage central soit déterminant. Mais pour être honnête, au début je n’accrochais pas avec Graziella. Je l’ai dit à Ben, le script a été remanié. A partir de là, j’ai commencé à la cerner, j’ai vu ce qu’une cubaine Rhum maker pouvait être. Mais il manquait toujours un truc sur le personnage et surtout son rapport avec son frère était décevant… On a beaucoup parlé, développé des axes intéressants et… voilà.

La force de Lehane c’est d’imaginer des personnages denses dans un environnement complexe.
Z.S. : Live by Night est une grosse production, mais l’attention aux détails des personnages était effectivement le souci principal de Ben. Il a été très ouvert : il écoutait tout ce qu’on proposait surtout pour nourrir nos personnages. C’est un acteur et il sait à quel point c’est un travail très dur et comment on s’investit personnellement pour développer nos rôles. Il écoutait nos suggestions et c’est ce que j’ai préféré dans la conception du film…

Ceci dit pour revenir à Graziella, dans le roman c’est une révolutionnaire qui attaque un bateau yankee… Elle perd un peu de son bakground politique dans l’adaptation.
Z.S. : Oui, mais ca ne m’a pas dérangé. Il m’importait plus que son histoire sonne vrai, plutôt qu’elle soit fidèle au livre. Je viens des Caraibes et je voulais que ça ce soit crédible. Tout le monde connaît Cuba, et on sait que la vie de cette ile dépasse le politique et la révolution – c’est la musique, des écrivains, des peintres, une histoire séculaire… Je ne voulais pas que Graziella soit une simple silhouette politique. L’amazone de la révolution ? Non merci… Quand j’ai expliqué ça à Ben il a vraiment été à l’écoute. No offense, mais je viens des îles, et c’est différent quand tu connais intimement un lieu, une mentalité, un peuple, et que tu peux nourrir ton personnage en fonction de ce savoir.

Qu’est-ce qui vous a fait accepter le rôle ?
Z.S. : Mon désir de spectatrice. On ne voit plus ce genre de films sur grand écran. J’adore les vieux films de gangster d’hollywood, les films d’aventures en scope, épiques et aventureux. Et on a encore moins l’opportunité d’en tourner. Quand j’ai eu le script, je me suis dit que ce serait pas mal d’en faire partie. Mais ce qui m’a vraiment fait plonger, c’est Ben. J’aime sa passion, son côté méticuleux, le fait qu’il soit un acteur-cinéaste aussi, plein d’empathie. Et j’adore la manière dont il raconte les histoires.
S.M. : Et puis… Zoe, on ne va pas se mentir : son CV est fantastique. Quand un cinéaste qui a eu l’Oscar du meilleur film te demande d’être dans son nouveau projet, tu ne refuses pas. J’ai vu le script circuler et je me suis dit « pitié, pitié, pitié ! » (rires). On a été très chanceuses d’être choisies.

L’Oscar l’a changé ?
S.M. : je crois que ça l’a poussé à se remettre en question. En tout cas, il ne se prend pas la tête avec ça (et à nous non plus).

En un mot, qu’est-ce qui vous plait dans vos personnages ?
Z.S. : j’aime trouver la force des personnages que j’incarne. Et Graziella est très forte, c’est la femme d’un gangster, qui s’exile pour suivre l’homme qu’elle aime… Elle appartient à une autre époque, mais elle parle aussi d’aujourd’hui ; et j’aime qu’une femme puisse être universelle.
S.M. : J’aime tout dans ce personnage : elle lutte, elle vit, elle baise… C’est sans doute lié à son histoire personnelle, une fille perdue qui décide de se réinventer, accepte d’être la fille d’un gangster pour survivre. Mais ce que je trouve très beau, c’est qu’elle finit par tomber le masque ; elle est d’une honnêteté folle. La scène de fin, la confrontation ultime est l’un des plus beaux moments que j’ai pu jouer…

Bande-annonce de Live by Night, en salles françaises le 18 janvier :