Nord Ouest Films

Présent à Cannes pour défendre En guerre de Stéphane Brizé, Vincent Lindon est apparu plus déterminé que jamais. 

 

Vincent Lindon ressemble à Laurent Amédéo, le leader syndical qu’il incarne dans En Guerre : il est prêt à aller au combat pour défendre le nouveau brûlot social de Stéphane Brizé qu’il estime presque supérieur à La loi du marché, leur précédente collaboration. Mais réfute toute comparaison entre les deux films, malgré des thématiques similaires (la crise, l’emploi, la solitude...) et la nature identique du dispositif (lui au milieu des non professionnels). En guerre contre les préjugés.

Critique de En Guerre

Avez-vous accepté le rôle de Laurent Amédéo les yeux fermés ?Les yeux fermés, ça voudrait dire que je n’ai pas lu le scénario. (il sourit) C’est très compliqué d’employer le mot “accepter” avec Stéphane car ce n’est pas comme ça que ça se passe. On parle des choses longtemps avant que le scénario ne s’écrive. Quand je lis finalement son script, j’attends que ce soit à la hauteur de nos conversations et des fantasmes que je m’en suis fait. J’ai évidemment la liberté de refuser si je ne sens pas le personnage. Un film, c’est un nouveau départ à chaque fois, indépendamment des liens qu’on a pu créer avec un metteur en scène.

En guerre est un nouveau film social engagé dans lequel vous êtes entouré de non-professionnels comme dans La loi du marché. N’avez-vous pas craint la redite ?
C’est un point de vue extrêmement français. Je n’ai pas le souvenir d’une interview dans laquelle un journaliste demanderait à Ken Loach s’il ne faisait pas tout le temps le même film.

Je pense que cette question revient en raison du dispositif très particulier des deux films en question.
C’est un dispositif qui fonctionne et qui est formidable. Il faudrait, sous peine de ne pas être banal, en changer ? Et quand vous creusez un peu, il est différent, ce dispositif –et je ne dis pas ça pour justifier quoi que ce soit. Le personnage n’a rien à voir : dans La Loi du Marché, il était inhibé, taiseux, à l’arrêt ; ici, il est rassembleur, loquace, en action. La façon de filmer n’est pas la même non plus. La caméra est plus mobile, il y a plus de gens autour de moi.

A propos d’action, le film a-t-il été éprouvant physiquement ? Votre personnage est en permanence dans la confrontation, verbale et physique.
Très éprouvant. Stéphane voulait absolument le tourner dans les conditions d’un vrai conflit social. Un piquet de grève, c’est un piquet de grève. Il n’était pas question de tourner quelque chose d’inconfortable dans le confort.

Laurent Amédéo ne vit que par et pour son travail, il n’a pas de vie familiale.
Comme dans un film de guerre. La lumière est mise sur un moment précis de leur vie. J’aime ces hommes et ces femmes qui se révèlent à travers une cause. Laurent Amédéo s’y colle. C’est une sorte de Robin des Bois, un type qui n’a pas été élu par les autres mais qui prend sa place.

Travailler avec des non professionnels change-t-il votre perception du métier d’acteur ?
Je ne me dis jamais que je travaille avec des non professionnels. On est tellement dans des scènes de vie, en osmose avec le milieu décrit, que tout cela se fait naturellement. Peut-être que je les aide à “rentrer dans le cadre” et qu’eux m’aident à me “diluer” dans le groupe plus facilement. En tout cas, c’est inconscient.

Vous n’avez jamais peur de les écraser ?
Jamais. Un, parce que je n’ai envie d’écraser personne. Deux, parce qu’il n’y a pas de bon film avec un acteur qui veut prendre toute la place.

Moi, si on me demandait de jouer avec vous, je serais impressionné.
Vous auriez peut-être peur avant, par rapport à l’idée que vous vous en faites. Mais comme on aurait bu des cafés en amont, brisé la glace et évoqué le plaisir du jeu, en une heure, vous auriez oublié tous vos préjugés.

Avez-vous le sentiment d’avoir trouvé en Stéphane Brizé votre alter ego ?
Sans aucun doute.

Cela change-t-il les choses d’un point de vue artistique ?
Pour moi, oui. J’ai besoin d’aimer pour travailler. Je ne supporte pas les frictions et les ambiances chaotiques.

Vous incarnez aujourd’hui très fortement les Français moyens confrontés aux fins de mois difficiles, loin des préoccupations d’un certain cinéma d’auteur.
C’est drôle, encore une fois, que vous me posiez ce type de question. Citons les trois derniers films que j’ai tournés : Rodin, L’Apparition, Casanova. Rien à voir avec le Français moyen. Alors, oui, j’ai fait les deux Brizé et Welcome il y a dix ans.

Comment expliquez-vous qu’on vous identifie à ce point alors à ce type de personnage ?
De la même façon qu’on parle tout le temps de Roland Garros à Yannick Noah. Il y a des réflexes, comme ça... Notez que ça ne me dérange pas.

Le public vous aime et vous suit pour cette proximité que vous personnifiez. Comme si vous étiez son relais à l’écran.
Beaucoup de gens dans la rue m’évoquent les rôles en question, à quel point ça les a bouleversés, combien ils se sont identifiés à moi. Je vous mentirais si je vous disais que ça ne me touche pas mais je n’ai aucun contrôle là-dessus. Je ne provoque rien.