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Automne 1981. Lessivé par l'expérience Piranha 2, James Cameron est de retour aux Etats-Unis après l'enfer vécu à Rome et en Jamaïque. Les 5000 $ payés par la production (soit la moitié du salaire promis - l'autre moitié ne sera jamais versée) se sont depuis longtemps envolés, dépensés en costumes, accessoires, billets d'avion et chambres d'hôtel, le tout pour tenter de sauver un film qui porte son nom mais dont il ne peut plus désormais endosser la paternité artistique. Après s'être fait virer par la production à deux reprises, Cameron est au bout du rouleau. Il n'a désormais plus un seul centime sur son compte et c'est son père qui a dû lui avancer son billet de retour. A peine arrivé chez ses parents dans le Wisconsin, il découvre que sa voiture, dont le paiement des dernières mensualités a été rejeté, a été saisie par la compagnie de crédit. Son rêve hollywoodien a tourné au cauchemar. Il n'a désormais plus de petite amie, de domicile fixe ni de travail. S'il fallait faire une analogie avec Le Héros aux mille et un visages de Joseph Campbell, James Cameron est alors dans l'étape de "l'abysse", le moment le plus noir, où tout semble perdu. "Plus personne ne voulait me rappeler", se souvient-t-il. "Je veux dire, même les gens de Warner, qui distribuaient Piranha 2, ne me rappelaient pas. Je n’avais jamais été aussi loin de mon but. Avant de faire Piranha 2, j'étais un jeune loup avec du potentiel. Après, j'étais juste un loser. Tout ce que j'avais, c'était cette certitude que la seule manière de sauver ma carrière était de créer mon propre projet, et de m'y attacher comme un chien à son os, jusqu'à ce que quelqu'un accepte de me donner de l'argent pour le faire". 

He had a dream…

Mais tel le phénix, ou l'endo-squelette dont il a rêvé, il va, par la force de son unique volonté, finir par renaitre de ses cendres. Pour revenir à Los Angeles, Cameron emprunte un camion vétuste à son père et prend la route vers la cité des anges. "J'étais vraiment au fond du trou. Tout ce qu'il me restait, c'était l'idée de ce film qui pour moi s'appelait forcément Terminator, alors qu'aucune ligne du scénario n'était encore écrite. Roulant (en direction de L.A.) dans la nuit, j'ai dicté pour la première fois l'histoire dans un micro-cassette." La légende a souvent été réduite à l'anecdote que l'idée de Terminator lui était venue à Rome pendant la difficile post-production de Piranha 2, dans un cauchemar fiévreux avec l'image de l'exo-squelette du Terminator sortant du feu. La vérité, c'est que si cette anecdote est bien réelle, Cameron portait ce film, ou plus exactement, comme la plupart des créateurs, plein d'images éparses, dispersées et abstraites, dans l'ether de son cerveau, comme un puzzle se constituant au fur et à mesure du temps : sa peinture du poster de son premier court-métrage Xenogenesis, en 1978, montre déjà un héros mi-homme mi-machine, avec son bras cyber, une image qui deviendra l'une des séquences mémorables du film.

 

 

Et Cameron avait déjà esquissé plusieurs autres peintures ou dessins représentant l'endo-squelette, dont une réminiscence de Halloween de John Carpenter (1978), où il se traîne, amputé à la hauteur du torse, le couteau de Michael Meyers à la main. Sur le plateau de Galaxy Of Terror (sur lequel Cameron était réalisateur de 2nde équipe), Bill Paxton qui travaillait comme charpentier entre deux figurations pour boucler ses fins de mois, se rappelle aussi : "James nous racontait par bouts ce film qu'il rêvait de faire. On attendait les pauses entre les constructions de plateaux pour qu'il nous raconte la suite et qu'on découvre les rebondissements de son histoire". C'est finalement le cauchemar à Rome qui va permettre à Cameron de passer à l'acte et d'aller au bout de se projet qu'il traine depuis des années. Au mépris de la réalité, puisqu'il se retrouve paradoxalement plus que jamais dans l'impossibilité d'y arriver.

Le pacte des fous

"Il m'a téléphoné de Rome, pour me raconter son rêve", explique Gale Ann-Hurd, future productrice du film, "et tout s'est mis en route autour de cette saisissante image". Arrivé à Los Angeles, Cameron élit domicile sur le canapé de son complice William Wisher. S'il ne possède presque plus rien (apparemment, ses seuls biens sont un fauteuil, un bureau, un tourne-disque stéréo et quelques LP vinyles), il lui reste au moins son cercle d'amis intimes qui n'ont jamais cessé de croire en lui. Dont Gale Ann Hurd, avec qui il conclut un pacte. "Je voulais devenir le nouveau John Carpenter. Et elle voulait devenir la prochaine Debra Hill." Pour être certain d'atteindre son but, Cameron lui propose un marché insensé : il vend les droits de Terminator à Pacific Western Production, la compagnie que Gale Ann Hurd est en train de monter, pour 1 dollar. Une seule condition : que le film ne puisse être vendu et produit que si lui seul est aux commandes. "Je pensais alors en termes très théâtraux" explique-t-il aujourd'hui. "Le paradigme était simple : nous voulions devenir un couple professionel, qui allait produire et réaliser des films ambitieux pour très peu d'argent. On ne voyait pas plus loin que ça. Nous étions tous deux d'accord sur ce principe : mon film pourrait être tourné dans les rues de Los Angeles, façon guérilla, comme je l'avais appris chez Roger Corman. Et surtout, j'allais y inclure des effets spéciaux que moi seul pourrait réaliser parce-que j'étais le seul à pouvoir les réaliser à ce prix. L'idée était de me rendre indispensable, au point qu'ils ne puissent confier le film à aucun autre réalisateur, sans risquer de faire exploser le budget". 

Armé de ses certitudes, Cameron construit l'histoire de Terminator avec l'aide de William Wisher, se servant de lui comme un conseiller : "Il n'avait pas encore tous les éléments rassemblés", explique Wisher, "mais il savait ce qu'il voulait, et il était prêt à courir après l'inspiration jusqu'à trouver les éléments manquants. Nous avons commencé à nous renvoyer des idées - comme nous l'avions toujours fait". Cameron se met ensuite à écrire le traitement à L.A. "Je conduisais la nuit sous la pluie, où je ne croisais que des voitures de police et des camion-poubelles. Je mangeais dans des restaurant ouverts très tards, comme Ships et Du Par's, et je racontais mon film aux serveuses, leur demandant ce qu'elle pensaient de telle ou telle idée, et gribouillait l'histoire sur mon bloc note jaune dans mon stand."

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Et le salut vint des femmes

Après plusieurs mois fébriles, en juillet 1982, Cameron a enfin un traitement. Le résultat, très proche du film final, est un thriller très excitant qui porte la marque de toutes ses influences. John Carpenter d'abord : la structure du film est celle de Halloween (1978), à la différence qu'un cyborg tueur venu du futur prend la place de Michael Meyers ; la scène du commissariat condense l'intensité et la brutalité d’Assaut (1976) en une seule séquence ; et les scènes dans le futur ne sont pas sans rappeler New York 1997. George Miller ensuite, dont la vision de Mad Max 2 l'année précédente à été un vrai choc pour Cameron. Et bien entendu tout le cinéma de Science-Fiction des années 50, alliant la peur de la technologie et du nucléaire.

 

 

Armée du traitement, Gale Ann Hurd commence à démarcher les compagnies de production et studios, pendant que Cameron le transforme en scénario. "Très rapidement, on s'est rendu compte que les studios n'étaient intéressés que par le script. Il ne voulaient absolument pas de moi comme réalisateur. J'étais vraiment dans une situation pire que celle d'un gars qui veut faire son premier film, parce que j'avais réalisé Piranha 2, et que tout le monde savait que c'était une grosse merde. Certains studios comme Paramount étaient intéressés - ils voulaient vraiment l'histoire, ils en voyaient le potentiel - mais ils ne voulaient absolument pas de moi ! Plusieurs studios voulaient acheter le script. Ils essayaient de nous diviser en offrant à Gale beaucoup d'argent. Ils lui disaient "tu pourras produire le film, mais il faut te débarasser de lui !" Mais je savais que si je cédais, j'aurais de quoi tenir un an, puis je me retrouverais à la case départ".

Après avoir fait le tour de toutes les options possibles, Gale Ann Hurd propose finalement le projet à une de ses vieilles connaissances, la productrice exécutive Barbara Boyle, une ex de chez Roger Corman qui vient de passer chez Orion Pictures, en compagnie de la productrice executive Frances Doel. Le sujet, particulièrement parce qu'une femme est au centre de l'histoire, les séduit. Barbara Boyle et Gale Ann Hurd se chargent de pitcher le projet au président d’Orion Pictures, Mike Medavoy, qui accepte de distribuer le film, à la seule condition qu'une star intègre le casting. A ce stade, c'est toujours Lance Henricksen, qui s'est lié d'amitié avec Cameron sur le tournage de Piranha 2, qui est censé incarner le Terminator - l'idée est d'utiliser un casting d'inconnus pour maintenir les coûts au plus bas. Mais Mike Medavoy en a une autre : O.J. Simpson dans le rôle du Terminator, et Arnold Schwarzenegger dans le rôle de Kyle Reese. "A l'époque, O.J. Simpson avait tourné des publicités pour Hertz, le loueur de voitures. C'était un athlète, il sautait par dessus les comptoirs, courait... Tout le genre de trucs que le Terminator devait faire. Donc ca avait du sens" explique Medavoy. "Avant le scandale du meurtre de sa femme, O.J. avait auprès du public cette image d'un gars innocent et gentil", poursuit Cameron. "Tout le monde l'aimait bien, donc pour moi, ça ne pouvait pas marcher. En plus, un Noir poursuivant une femme blanche pour la tuer n'était pas le genre de morale que je désirais afficher dans mon film".

 

L’épiphanie

Mais Medavoy n'en démord pas. Il croise Arnold Schwarzenegger à la projection de la première de Tonnerre de feu à Los Angeles, le 13 avril 1983. "Je suis à cette projection de film avec un hélicoptère", raconte Arnold, "et Mike Medavoy viens me voir, et m'explique qu'il a ce projet de film appelé Terminator, déjà casté avec O.J. Simpson dans le rôle du robot, et qu'il voudrait que je joue Kyle Reese. Il me promet de m'envoyer le script, puis d'organiser un déjeuner avec le réalisateur." Medavoy, excité, relaie l'information à Cameron, qui trouve l’idée saugrenue mais accepte tout de même de le rencontrer. "Je débutais, et quand tu es un débutant, tu dois être très souple. C'est comme en politique. Tu marches sur des oeufs et tu risques le faux pas à tout moment. L'autre raison, c'est que j'étais un fan de Conan. J'avais lu tous les romans, et je dessinais même mes propres histoires de Conan avant que les comics Marvel existent, en décalquant les couvertures des romans. J'avais adoré le film de Milius, donc je trouvais cool d'aller déjeuner avec Conan. Mais pour moi, c'était évident qu’Arnold n'était pas la bonne personne pour jouer Reese. Arnold, à cette époque, ne m'apparaissait pas comme un acteur capable de jouer des pages et des pages de dialogue. Donc je suis allé à ce déjeuner avec l'intention de ne pas m'entendre avec lui, déclencher une engueulade, et me débarasser de cette idée de casting en invoquant des différences artistiques".

Le lieu de cette rencontre qui va rentrer dans la légende est Schatzi's, l'un des restaurants favoris d'Arnold à L.A. (qu'il rachètera quelques années plus tard). Flanqué de Barry Plumley, un executif de chez Hemdale (les financiers du film), James Cameron, maigre, sans un sou, "je n'avais pas d'argent, donc je n'avais même pas de carte bleue sur moi", venant de passer deux ans dans l'enfer de la vie d'artiste qui cherche à percer, rencontre Arnold Schwarzenegger, 8 fois Monsieur Olympe, 7 fois Monsieur Univers, investisseur riche et heureux dans l'immobilier, fiancé à une fille du clan Kennedy et star de cinéma en pleine ascension. Cameron s'asseoit à la table, les présentations sont faites, et Arnold commence à parler. Et c'est comme si, après Gale Ann Hurd, un autre ange du projet tombait du ciel : "Il commence direct par me dire que le film va être un grand succès. Je reste sans rien dire, hébété. Jamais je n'avais pensé à mon film dans ces termes. Bien entendu, je l'avais écrit avec l'idée qu'il marche et rapporte de l'argent. Mais il était la première personne à croire que le film allait faire un carton et ne pas être un embarrassement pour tout le monde. Et Arnold continue sans jamais me parler de Reese. Il discute juste du scénario et des idées qu'il véhicule, comment il l'a adoré, et comment il pense que le film va être vendu, comment il va pouvoir toucher le public masculin, mais aussi féminin. La plupart des acteurs ne regardent que leur rôle et se moquent des autres facteurs. Pas lui. Il se met ensuite à me parler du Terminator, comment il devrait s'exprimer comme un dictaphone, tirer sans ciller, recharger sans regarder, ne jamais bouger la tête quand il parle... Je suis  donc assis là," poursuit-il, "devant ce gars en train de chanter les louanges de mon film, et de faire l'éloge de mon script. Il m'a donné un de ses cigares barreau de chaise à fumer et ma tête commence à tourner. Et il continue à parler, à parler, et encore parler, et ça devient comme la scène dans True Lies, quand (à table avec Jamie Lee-Curtis) la caméra s'approche de son visage, et le son disparait. Et je n'entends plus rien alors qu'il continue de parler. Je détaille juste la structure de son visage, ses sourcils, son look. Je me dis, c'est un bulldozer humain. Un Tank Panzer. C'est le Terminator !" 

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The beginning of a beautiful friendship…

Cette idée de casting parait tellement évidente aujourd'hui qu'il est difficile d'imaginer que personne n'y ait songé avant. C'est comme si toute la filmographie d'Arnold pré-Terminator semblait avoir été pensée pour le préparer à son futur rôle iconique : dans Hercule à New York, il joue un surhomme de l'Olympe se retrouvant téléporté dans une cité urbaine. Terminator ! Dans Pumping Iron, il joue un culturiste prêt à tout pour atteindre son but, qui ne ressent ni émotion, ni pitié, ni peur. Terminator ! Quant à Conan le cimmérien...

 

 

Quand Arnold aborde enfin le sujet Kyle Reese, Cameron lui suggère d'oublier ça. "Le voilà qui commence à me parler comme un psychiatre à son patient", raconte Arnold, "il essaie de m'auto-convaincre que le rôle n'est pas pour moi et que je ne suis pas intéressé." Puis arrive le moment du café, et Cameron lui lâche l'idée qu'il vient d'avoir : "Oublie Reese. Tu vas jouer le Terminator". Arnold est décontenancé. "Je lui réponds non, non, non, le personnage a 17 lignes de dialogue ! Ca ne m'intéresse pas, j'essaie de construire une carrière au cinéma. Je veux jouer le héros, pas le méchant !". Arrive l'addition, qui va couper court au débat : ni Cameron ni Plumley n'ont de quoi payer ! "Dans ce genre de déjeuner, l'acteur ne paie jamais" se souvient Arnold. "Mais quand l'addition est arrivée, c'était comme une comédie, aucun d'eux n'avait d'argent sur lui, et ils se sont engueulés". "Voici comment le déjeuner s'est fini" se rappelle Cameron, "je regarde Barry, attendant qu'il prenne la note, et il me dit "désolé mon pote. Je suis raide." Je le fusille du regard, en pensant "espèce d'imbécile !" Arnold voit que je suis à deux doigts de le tuer, et il se met à nous raconter une histoire : comment il avait invité, des années auparavant, un athlète connu dans un restaurant très huppé, puis s'était aperçu au moment de payer qu'il avait oublié son portefeuille. L'athlète avait été très comprehensif et avait réglé à sa place, et c'était l'occasion pour Arnold de renvoyer l'ascenseur. Il a donc gracieusement réglé la note.  Et c'est à cet instant que je suis devenu un grand admirateur d'Arnold Schwarzenegger".

David Fakrikian

>>> L'histoire secrète de Terminator : Volume 2

David Fakrikian est l'auteur d'un livre consacré au cinéma de James Cameron à paraitre en 2016 aux éditions Huginn et Muninn 

Terminator Genisys, 5e du nom, réalisé par Alan Taylor avec Jai Courtney, Jason Clarke, Emilia Clarke et Arnold Schwarzenegger sort le 1er juillet dans les salles.

 

Sources :

Omni Magazine. '20,000 Leagues Under the Sea: The Movie Director as Captain Nemo' Bill Moseley. 1997.The Directors: Take One, Volume One. Robert J. Emery. Allworth Press.  2002.The Futurist: The Life and Films of James Cameron. Rebecca Keegan. Crown Publisherst 2009.Total Recall: My Unbelievably True Life Story. Arnold Schwarzenegger. Simon @ Shuster 2013Terminator Collection. Limited Edition Book, Carolco, 1993Terminator Vault - Ian Nathan, Aurum / Huginn @ Muninn, 2013Terminator at 30 - An Oral History Entertainment Weekly 2014