DR

L'actrice d'En secret, histoire d'amour entre deux filles dans le Téhéran actuel, raconte un tournage mouvementé et la schizophrénie iranienne.Premier long de l'américano-iranienne Maryam Keshavarz, Prix du Public à Sundance 2011, En Secret est sur nos écrans depuis mercredi : l'histoire de l'amitié amoureuse entre deux amies dans le Téhéran d'aujourd'hui. Entre la stricte vie publique et les fêtes clandestines, entre le confort de la famille et l'oppression des mollahs, les sentiments entre Atefeh (Nikohl Boosheri) et Shirin (Sarah Kazemy) vont être mis à l'épreuve lorsque le frère d'Atefeh se met à devenir membre de la police des moeurs. Premier rôle au cinéma pour Sarah Kazemy, franco-iranienne de 24 ans, elle nous raconte le tournage camouflé et les nécessités du mensonge dans l'Iran d'aujourd'hui.Propos recueillis par Sylvestre Picard.En secret raconte l'amour entre deux filles dans l'Iran d'aujourd'hui : on imagine que le tournage n'a pas dû être de tout repos.En fait, nous n'avons pas tourné en Iran, mais au Liban. Ca s'est bien passé, mais ça s'est fait difficilement. Les relations entre le Liban et l'Iran ont toujours été difficiles. Ce qui posait problème, c'est qu'on racontait l'histoire de deux Iraniennes : la même histoire avec deux Suédoises, ça serait passé tout seul. Même si l'homosexualité n'est pas tolérée au Liban.Comment avez-vous pu tourner, alors ?Maryam Keshavarz, la réalisatrice, a dû faire un faux scénario, un script bidon de quatorze pages qui racontait la même histoire mais sans drogues, sans homosexualité, sans rien en fait. Une histoire d'amitié banale. On a eu les autorisations, mais on tournait dans la peur de se faire attraper. Beaucoup de quartiers sont sur écoute. La police est d'ailleurs venue deux fois sur le tournage, aux moments les plus gênants : la scène de fantasme où Atefeh s'imagine avec Shirin, avec son décor un peu glam, ils ont cru qu'on tournait un film porno. L'autre fois pendant le doublage de Sex And The City : comme on était sur écoute et que, dans cette scène, on imite des bruits de jouissance, ils ont débarqué assez vite.Vous avez dû improviser ?Forcément. On tournait en pellicule, en une seule prise : la seule exception, c'était quand il y avait un cheveu sur la caméra. Là, on devait refaire la scène. Mais c'était tout. Même les scènes de séduction entre Nikohl et moi ont été faites en one shot. D'autant que je ne suis pas une comédienne de formation : j'ai étudié la littérature moderne avant de faire du droit. Maryam ne recherchait pas de comédiens confirmés, c'était un casting un peu sauvage.Cette histoire de faux scénario fait écho au thème du film, un amour secret épié par la société.C'est une mise en exergue des faux semblants, des mensonges. Ca en devient de la schizophrénie. En Iran, le mensonge est un mode de survie, c'est naturel.  A l'école, si on nous demande si nos parents ne boivent pas d'alcool et font bien la prière, on répond par réflexe que oui, ils ne boivent pas, et oui, ils sont religieux. On n'a même pas l'impression de mentir. Dans un pays "normal", comme la France, les parents apprennent à leurs enfants à dire la vérité. En Iran, les parents apprennent à leurs enfants à mentir, ou plutôt à composer. On leur inculque tout ça très tôt :  je fais une généralité, mais c'est peut-être pour cela que les Iraniens sont très intelligents, il y a une grande finesse dans leur façon de penser.Vous parlez de mensonge, de double discours, même de doublage de films : le thème du double, de la dualité, revient sans cesse dans En secret.Tout à fait. La musique fait écho à ce thème, par exemple : il y a des chants traditionnels, du rap iranien, Beethoven, Bach... Nikohl a grandi au Canada, Maryam et moi avons une double nationalité. Il y a les racines, et le regard porté vers l'Occident. Ma mère est française, mon père est iranien. Elle a grandi à New York. Moi, j'y allais pour les vacances d'été. On a le même regard des Iraniens issus de la diaspora, un regard élevé ailleurs mais qui a été bercé par la culture iranienne.Comme c'est un film situé en Iran, on s'attend à un message politique. Votre personnage déclare pourtant "l'activité politique n'a rien de si romantique..."J'essaye de détacher l'histoire de l'Iran. Ca se déroule dans un contexte oppressif, certes, mais qui pourrait se retrouver n'importe où. Evidemment, il devient politique quand on le confronte à son décor, mais ce n'est pas un documentaire : le décor vient donner un ton, mais ne définit pas le sujet. En Iran, tous les aspects de la vie quotidienne des gens deviennent politiques parce qu'ils sont réglementés par cette politique oppressive. Donc forcément, sans le vouloir, le film devient politique. En faisant ce film, nous nous sommes engagées car nous ne pouvons plus retourner en Iran. Là-bas, il y a d'ailleurs peu de tournages clandestins, car le risque est vraiment trop grand : tourner un film, c'est risquer sa vie.Bande-annonce de En secret, qui sort aujourd'hui en salles :