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L’une des forces de The Rover est son minimalisme. Était-ce déjà le cas sur le papier ? Oui, cette impression de désolation se dégageait du scénario, qui m’avait frappé par son côté très « affamé ». Le film est extrêmement dépouillé mais parvient à créer un monde presque extraterrestre qui lui est propre. Une qualité qui, dans un sens, m’a rappelé Cosmopolis.Ce film-là a clairement marqué un tournant dans ton parcours. Tu nous avais dit que ça t’avait « donné des couilles ». Elles continuent leur croissance ?Lorsque tu joues dans une grosse production, tu contribues à un ensemble sans vraiment savoir comment. Avec les films plus modestes que je fais maintenant – et ça tient sans doute à leur ambition –, je sens que je suis en train de créer quelque chose. C’est nettement plus palpable. David Michôd m’a laissé essayer plein de trucs sur The Rover, comme d’avoir les dents pourries ou de me raser l’arrière du crâne car je trouvais que ça rendait le personnage plus vulnérable d’avoir la nuque ainsi exposée.The Rover ressemble à une nouvelle étape dans ta carrière. C’est aussi ton impression ?La première fois que j'ai eu le sentiment de voir un adulte en me regardant à l'écran, c'était en découvrant la pub Dior que j'ai tournée l'année dernière sous la direction de Romain Gavras. The Rover a confirmé cette sensation, qui a perduré sur Life, le film que je viens de tourner avec Corbijn. Je crois avoir davantage confiance en moi, et les sélection de Maps to the Star et The Rover à Cannes y contribuent énormément. À force de me faire descendre pendant des années à cause de Twilight, mon ego en avait pris un coup.Tu vis ce Festival comme un adoubement ?Tu n’as pas idée... C’est une reconnaissance immense. Pendant longtemps, j’ai aspiré à des rôles sans vraiment savoir si j’étais capable de les jouer. Aujourd’hui, je me sens prêt à prendre des risques et à les assumer.Il y a deux ans, tu nous racontais que tu cherchais désespérément à contacter Romain Gavras. Tu as réussi, finalement. Ce spot pour Dior est le seul moyen que j’ai trouvé pour le joindre. Je me suis dit : « Là, il va forcément me répondre. » J’ai un peu eu l’impression d’acheter ce coup de fil... (Rire.)D’où est venue l’idée de te faire ressembler à un jeune Belmondo ? De Dior, même si leur concept de départ était plus sophistiqué. On a épuré au fur et à mesure. La façon dont Romain tourne avec son chef opérateur donne au résultat ce côté extrêmement vivant. Il faut savoir que nous n’avions pas vraiment le droit de filmer la partie où je conduis sur la plage. Romain a fait ça à 7 heures du matin, et il n’arrêtait pas de crier : « Dépêchez-vous, on perd la lumière ! » Quelle lumière ? Il est 7 heures ! Le sable était humide, la voiture s’y enfonçait. Du coup, je roulais à 100 km/h avec les deux mannequins à l’arrière et Romain qui hurlait : « On perd la lumière ! On perd la lumière ! » Je n’aurais jamais pensé que j’allais un jour me retrouver dans ce genre de pub, mais je dois avouer que l’expérience a été très positive. Dior nous a laissé une liberté assez incroyable.Lors de notre dernière interview, tu nous disais également que tu rêvais de travailler avec James Gray, ce qui va bientôt être le cas (Pattinson tiendra l’un des rôles principaux dans The Lost City of Z, aux côtés de Benedict Cumberbatch). Le tournage vient une nouvelle fois d’être repoussé à janvier, je n’en peux plus d’attendre. Elles auront lieu en Colombie, ça va être dingue. D’ici là, je vais peut-être jouer sous la direction de Harmony Korine, avec qui je rêve de tourner depuis que j’ai 17 ans, comme avec James Gray. Je n’arrête pas de lui demander de quoi parle le film mais il refuse de me le dire.Tu viens d’ajouter Werner Herzog à ton CV (Queen of the Desert, avec Naomi Watts)... Je ne m’y attendais pas du tout. C’est un petit rôle, mais j’ai adoré bosser avec lui. Quel que soit le sujet, il aura toujours une histoire improbable ou une anecdote à raconter. On était sur le tournage lorsque le procès d’Amanda Knox (une Américaine accusée d’avoir assassiné l’une de ses colocataires en Italie) a été rouvert, et Herzog nous a dit très sérieusement : « J’ai vu des documents auxquels le public n’a pas accès, et je peux vous garantir qu’elle est coupable. » (Rire.) Je ne l’ai évidemment pas cru un seul instant.Es-tu toujours aussi populaire auprès des paparazzis ou l’hystérie est-elle un peu retombée ? J’ai fait des progrès dans l’art de ne pas être vu. La dernière fois que je suis rentré à Londres, je n’ai pas été photographié de tout le voyage. Mon meilleur ami m’a dit : « La prochaine fois qu’on te prendra en photo, souviens-toi de cette période pendant laquelle on t’a laissé tranquille. Ne vois pas ça comme le prolongement des années où les paparazzis te harcelaient mais comme un incident isolé. » Il a raison. Avant, je pétais parfois les plombs lorsqu’on me shootait dans la rue. C’est différent lorsque vous êtes un mec car, au-delà de l’intrusion dans votre vie privée, c’est aussi votre masculinité qui est bafouée, dans un sens. Vous vous retrouvez face à des types qui vous mitraillent impunément et vous ne pouvez rien y faire... Il y a eu des moments où j’avais littéralement envie de les tuer. Je me suis calmé depuis. Enfin, je crois, mais c’est peut-être juste parce que c’est plus rare. Ce qui est tordu dans tout ça, c’est que je fais un métier où on me paie pour devenir quelqu’un d’autre. Comment veux-tu que les spectateurs trouvent ça crédible si, tous les jours, on me voit dans les tabloïds en train de faire mes courses au supermarché ?Tu te fais livrer tes courses à domicile, du coup ? Non, je commande tous les jours chez Domino’s Pizza. (Rire.)On voit très souvent des acteurs accepter un blockbuster entre deux films indé, expliquant que c’est nécessaire pour pouvoir continuer à tourner des projets plus « artistiques. » Tu sembles pour ta part avoir complètement abandonné les films de studio...Oui parce que je ne crois pas à cette idée qu’il faille alterner les deux. Le public se fiche que vous fassiez un « gros » ou un « petit » film, il veut juste vous voir dans un bon film. Parfois, certains acteurs enchaînent les gros projets, jusqu’au jour où tout s’arrête d’un seul coup. Et là, ils se retrouvent désemparés : « Je ne comprends pas, j’ai pourtant joué le jeu. » Sauf qu’il n’y a pas de règles. Tout peut s’écrouler du jour au lendemain. L’avantage, si ça m’arrive, c’est que je pourrai toujours me faire quelques centaines de dollars en allant signer des autographes dans les conventions de fans de Twilight. (Rire.)À ton avis, combien de temps va-t-il falloir à Hollywood pour lancer un reboot de la saga ? Je ne sais pas. Je crois que la mode des vampires est passée, non ? C’est marrant, il y a quelques jours, je me remémorais le tournage d’une scène avec quelqu’un. Je crois que c’est la première du dernier épisode, lorsque Bella se réveille et voit Edward, un peu comme une apparition. Ca faisait un mois qu’on filmait au Canada par un froid glacial, j’étais au bord de la dépression, et la seule chose que j’avais trouvée pour me remonter le moral était d’aller prendre mon petit déjeuner chez McDonald’s tous les matins. Après quatre semaines de ce régime, le moment est venu de tourner la scène en question, dans laquelle je portais une chemise blanche en étant éclairé par-derrière. En visionnant les rushes, j’ai alors réalisé qu’on voyait se dessiner en contre-jour le contour de mes poignées d’amour fraîchement acquises. Je suis récemment tombé sur le film à la télé, et elles sont toujours là.Après toutes ces années, je suis épaté qu’on trouve encore des anecdotes à raconter sur Twilight... Quand je pense que le premier épisode est sorti il y a six ans et que j’ai donc décroché ce rôle en 2007, ça me paraît surréaliste. La majeure partie de ma vingtaine aura été consacrée à cette saga. À la sortie du deuxième volet, j’ai compris qu’il allait ensuite me falloir dix ans pour être à nouveau moi-même et passer à autre chose.Interview Mathieu Carratier(Cette interview est parue dans le numéro 447 de Première)The Rover de David Michôd avec Guy Pearce, Robert Pattinson et Scoot McNairy sort demain dans les salles Voir aussiNotre review de The RoverL'entretien avec David Michôd