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En janvier 2013, Carrie Fischer s’était adressée à son alter ego dans une lettre publiée sur le site américain Bullet Media.

On le sait : Carrie Fischer avait un caractère bien trempé et une jolie plume qu’elle avait mise au service d’Hollywood en tant que script-doctor. Il y a bientôt quatre ans, elle avait décidé d’écrire à la princesse Leia, son alter ego qui avait pris toute la place dans son existence et fini par la vampiriser.

Pleine de mélancolie et d’amertume non dissimulée («alors qu'on se souviendra éternellement de vous flânant dans des paysages infestés d'étoiles, je végète bruyamment dans ce tristement célèbre placard des célébrités»), cette lettre est un précieux et bouleversant témoignage sur les affres de la célébrité, sur le miroir déformant qu’elle vous tend et dans lequel vous finissez par vous perdre.

« Chère princesse Leia,

Je ne voudrais pas être présomptueuse en vous appelant "Leia", ça impliquerait une familiarité dont je ne souhaite pas présumer. Et bien que certains puissent dire que nous nous ressemblons au point qu’on puisse aisément nous confondre –  si nous nous mettions inexplicablement d'accord pour nous habiller de la même manière banale et que vous refusiez enfin, raisonnablement, de vous soumettre aux rigueurs de cette coiffure absurde –, simplement (et finalement), je pourrais me faire passer pour vous avec quelques ajustements mineurs et vous pourriez vous faire passer pour moi avec un petit effort supplémentaire. Mais est-ce que mon intérieur s'accorderait à votre extérieur ?

J'ai passé presque deux tiers de ma vie à traverser des galaxies dans ces foutues bottes en cuir blanc. J'ai même essayé de répondre de vos actions, d'expliquer vos éventuelles motivations concernant des choix que l'une de nous n'a pas su faire. Mais alors qu'on se souviendra éternellement de vous flânant dans des paysages infestés d'étoiles, vivant pour toujours dans les imaginations et sur les écrans, je végète bruyamment dans ce tristement célèbre placard des célébrités – à grossir, prendre des rides, me voûter et, bien trop souvent, m'abrutir avec l'âge.

Nous voilà reproduisant notre propre tableau à la Dorian Gray. Vous : douce, sûre de vous et droite dans vos bottes, condamnée pour toujours à la grande et enviable prison de l'aventure intergalactique. Moi : luttant de plus en plus contre le syndrome de stress post-galactique, portant vos cicatrices, grisonnant vos cheveux éternellement noirs et ridicules.

 

Lire le texte original en anglais

 

Vous agissez toujours en héroïne ; je la sniffe, dans une piètre tentative d'atténuer l'éclat de votre intense cinéma intergalactique. Vous récoltez la gloire ; je cède à la vieillesse. Vous : tellement en forme physiquement et si pétrie de bonnes intentions que cela nuit à ma santé mentale – en tout cas, quelque chose le fait. Tandis que vous combattez le côté obscur avec vos manières légères et lumineuses, je suis dans la fosse du Sarlacc, couverte par les fluides corporels infâmes de Jabba.

Quoique vous soyez condamnée à rejouer les mêmes sept heures d'aventures sur une période de maintenant presque quatre décennies chahuteuses, au moins vous êtes belle quand vous combattez le mal. J'ai l'air habitée. Mes yeux amusés et envieux animent un visage bouffi et abîmé par l'âge. N'étais-je pas censée rester joyeusement figée dans l'ambre de notre image projetée, évitant la rétention d'eau, le poids et les rides de la même façon que vous combattiez pour la gloire de… peu importe quel était le but de tout cela – un univers rayonnant de paix et d'équité, des Ewoks cabriolant dans des champs remplis de force ? N'étais-je pas censée le rester ? Dites, ne l'étais-je pas ?

De nos destinées tout sauf partagées (si elles furent partagées, c'est d'une façon malsaine), quelle qu'ait été ou sera celle de Leia, celle de Carrie sera, au moins périodiquement, dérisoire et décevante, rongée par la commisération, vieille et surexposée, rendue triste et hors de propos en comparaison avec les aventures riches et ininterrompues de son homologue. Rejoue-le, Han ! Leia joue tandis que je continue à payer et payer et payer. Je suis Carrie Fisher de Star Wars – le côté sud de Star Wars, près de l'ancienne maison abandonnée des Vador.

Je disparais alors que vous brillez. Je me voûte tandis que vous tirez juste et défendez le droit. Il y a pire, je le sais. Ce pire se rassemble dans mon dos et hante mes jours futurs pleins de divertissements. Mais le pire cède au meilleur – Dorian Organa cède à Carrie Gray. Nous gagnons tous à la fin, n'est-ce pas ? Sinon définitivement, au moins pendant un nombre limité de jours sympathiques et inéluctables. Elle est Leia Organa, au centre des meilleurs souvenirs de tant d'êtres humains. Brillant dans la chaude lumière de notre nostalgie de la science-fiction. Notre Alderaan, envolez-vous avec nous, mais où que vous alliez – au-dessus de la colline ou de cette fichue Cité des nuages, dans le palais de Jabba ou aux urgences, en haut, en bas ou à travers –, faites de votre mieux pour faire ce que je fais : faites en sorte de profiter du voyage. Laissez tomber la coiffure, mais profitez du voyage ! »

Amitiés, Carrie