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Love and Mercy, de Bill Pohlad, met en résonance deux périodes de la vie du génie créatif Brian Wilson, leader des Beach Boys et schizophrène notoire. Oren Moverman, l’auteur du scénario, revient sur la conception de ce biopic hors normes.

La carrière d’Oren Moverman se partage entre écriture et mise en scène. Il a réalisé trois films passionnants, pourtant méconnus en France. Le premier, The Messenger (2009), suivait deux militaires chargés d’annoncer aux familles le décès de leur fils au combat. Malgré deux nominations aux Oscars (meilleur acteur dans un second rôle pour Woody Harrelson et meilleur scénario), il n’est sorti qu’en DVD. Rampart (2011, encore avec Woody Harrelson dans le rôle d’un flic raciste) a été exploité en catimini deux ans après sa sortie américaine. Et Time Out of Mind (2014), avec Richard Gere dans le rôle d’un SDF, n’a jamais été distribué. Oren Moverman est presque plus connu grâce à son travail de scénariste pour Alison Maclean (Jesus’ Son) ou Todd Haynes (I’m Not There, biopic sur Bob Dylan). D’ailleurs, il est ravi d’avoir laissé la mise en scène de Love & Mercy à Bill Pohlad, comme il nous le confie.

Première : Votre précédente expérience du biopic vous a-t-elle aidé pour écrire Love & Mercy ?
Oren Moverman : La principale leçon que j’en ai retenue, c’est qu’il est quasiment impossible de raconter une histoire sur la vie de quelqu’un. On doit donc trouver des solutions pour s’en sortir. L’une d’elles consiste à se concentrer sur certaines périodes plus spécifiques. Je connaissais un peu la vie de Brian Wilson grâce à un ami, véritablement obsédé par sa biographie. Nous en avons aussi beaucoup parlé avec Bill Pohlad. Je me suis rendu compte que le sujet avait fait l’objet de plusieurs tentatives d’adaptation, sans succès. Au cours de nos conversations, on a commencé à évoquer la chanson Love & Mercy, qui résume assez bien Brian Wilson. Son histoire est extraordinaire au point de ressembler à une fiction – avec ces personnages invraisemblables comme le docteur Landy, ou la manière dont sa future femme le sauve, après lui avoir vendu une Cadillac... Plus on creusait et plus on voyait comment isoler deux périodes dans la vie de Brian, deux phases qui s’entrecroisaient et convergeaient l’une vers l’autre. La face « Mercy », celle du musicien en pleine ascension dans les années 60, qui se révèle génial mais perd peu à peu la raison, sombre dans la drogue et la dépression. Et la face « Love », celle des années 80 où il essaie de s’en sortir, au détriment de la musique.

Quelle différence y a-t-il entre Love & Mercy et I’m Not There ?
Le film de Todd Hayes n’est pas seulement un biopic musical ; il traite aussi d’un musicien américain iconique. Todd a élaboré son projet avec une idée forte dont l’exécution est devenue un véritable exercice intellectuel (plusieurs comédiens, dont Cate Blanchett, interprètent Bob Dylan). Nous avons voulu inventer une façon différente, pas nécessairement linéaire, de raconter l’existence d’un homme. Avant tout, il fallait coller au sujet. Bob Dylan,lui, se voulait polymorphe, avec plusieurs personnalités, impossible à cerner. De son côté, l’histoire de Brian Wilson est plus ouverte et plus émotionnelle. Elle peut se résumer très simplement à ces deux époques particulières de sa vie.

Comment vous êtes-vous partagé les tâches avec Bill Pohlad ?
Je n’ai jamais envisagé Love & Mercy autrement que d’un point de vue de scénariste. Au départ, Bill était producteur et, en tant que tel, il me donnait beaucoup d’indications, il me proposait des idées. Au bout d’un moment, j’ai saisi très clairement que le film allait refléter sa vision et cela me convenait parfaitement. Lorsqu’il a fallu trouver un metteur en scène, il a assumé cette charge de façon assez naturelle. Le résultat lui a donné raison.

Pourquoi deux acteurs pour jouer le rôle de Brian Wilson ?
C’était une question importante. Il y avait deux époques et nous nous sommes tout de suite demandé si un même interprète pourrait jouer les deux versions du personnage, ou s’il fallait confier les rôles – Brian jeune et Brian vieux – à des comédiens différents (Paul Dano et John Cusack). La seconde solution s’est imposée du simple fait que Brian Wilson avait beaucoup changé physiquement en l’espace de vingt ans. Ce fut la seule approche « conceptuelle » du film. Par ailleurs, on ne voulait pas forcément choisir quelqu’un qui lui aurait ressemblé exactement. Lorsque vous regardez des photos de Brian dans les années 80, après sa perte de poids, il a l’air radicalement différent de ce qu’il était quelques années plus tôt.

Le choix de la musique est-il arrivé au moment de la mise en scène ou de l’écriture ?
Atticus Ross a composé sa partition après le tournage, mais tous les montages sonores ont été imaginés dès l’écriture, ainsi que les bruits qui s’assemblent pour retranscrire ce qui se passe dans la tête de Brian. Nous voulions créer des sons de cette sorte. Nous savions aussi que nous allions nous concentrer sur les années 60. Pour les sessions d’enre- gistrement de l’album Pet Sounds, il s’agissait moins de comprendre les chansons que le processus créatif de Brian. Toutes ces idées étaient dans le script et elles ont pris leur forme définitive au montage.

Le film a-t-il modifié votre appréciation des albums de Brian Wilson et des Beach Boys ?
J’ai toujours aimé leur musique jusqu’à ce que, il y a quelques années, sous l’influence de mon ami et producteur Lawrence Inglee, elle prenne de plus en plus d’importance dans ma vie. Il m’a vraiment appris à écouter Brian Wilson, à comprendre ce que voulait dire sa musique, à étudier le contexte historique. Lorsque Bill m’a proposé d’écrire le scénario de Love & Mercy, je connaissais déjà bien l’histoire de Brian, mais ce n’était rien à côté de ce que j’ai découvert en développant le projet. J’aurais bien aimé inclure beaucoup d’autres anecdotes dans le film, mais il n’y avait tout simplement pas assez de place.

Vous n’avez pas de regrets de ne pas avoir réalisé Love & Mercy ?
Aucun. J’étais très heureux que Bill s’en charge. Sur le plateau, je le regardais travailler en tant que producteur et aussi en tant qu’ami. J’ai souvent participé à des films sans en assurer la mise en scène et c’est toujours intéressant de voir d’autres réalisateurs retranscrire leur vision. Je ne suis pas très susceptible avec mes scripts. Je ne suis pas si imbu de moi-même pour penser que ce serait meilleur si je les réalisais.

Love & Mercy en DVD et blu-ray le 2 décembre 2015