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Avec Médecin de campagne, le réalisateur d’Hippocrate continue de militer pour un système de santé à taille humaine.

Avec Hippocrate, Thomas Lilti nous montrait la réalité de l’hôpital, avec ses guéguerres internes, ses conditions de travail dégradées et son personnel en souffrance mais néanmoins animé d’une foi inextinguible dans sa mission de bien public. Dans son nouveau film, il évoque la problématique de la santé en milieu rural, incarnée, presque à elle seule, par le médecin de campagne, cette figure en voie de disparition qui soigne, écoute, conseille et, le cas échéant, remplit des papiers, répare des fuites ou règle la télévision à la demande de personnes souvent isolées et âgées.

Pour incarner un tel personnage, qui de mieux que François Cluzet, l’un des acteurs préférés des Français auquel l’identification est immédiate, quasiment automatique ? Son Jean-Pierre Werner est lumineux malgré le cancer qu’on lui diagnostique d’entrée de jeu et une collègue inexpérimentée qu’on lui impose pour le laisser souffler un peu. Avec Marianne Denicourt, il forme un formidable couple de cinéma, à la fois rival et bienveillant, confronté à des cas sociaux et humains qu’il appréhende de la meilleure des façons : avec une humanité rarement prise en défaut. Médecin de campagne est, vous l’aurez compris, le meilleur des onguents en ces temps de morosité généralisée.

 

Les réalisateurs, sauf ceux qui font du cinéma de genre, ont tendance à passer d’un univers à un autre. Pas vous.

Les gens disent parfois qu’on fait toujours un film contre le précédent… Je ne comprends pas très bien cette phrase. Il y a d’immenses auteurs que j’adore, comme Allen, Loach, Moretti, dont chaque film est une variation sur un même thème ou se passe dans le même univers. J’aurais pu faire un film en milieu scolaire qui aurait peut-être beaucoup plus ressemblé à Hippocrate que Médecin de campagne qui au niveau du ton, des personnages, de leurs motivations, en est très éloigné.

Le côté initiatique est cependant de nouveau présent à travers le personnage de Marianne Denicourt.

Un peu, mais on est plus dans une thématique de transmission. Ce n’est pas du tout un récit d’apprentissage comme Hippocrate. À la limite, Nathalie est un personnage plus proche de celui que jouait Reda Kateb : elle vient déséquilibrer un ordre établi.

Ca vous énerve qu’on vous dise que vous exploitiez un filon ?

Je m’attendais à ce qu’on me le dise beaucoup plus… Un « filon », c’est exagéré : ce n’est pas comme si j’avais découvert « le film de médecine » que je serais le seul à traiter.

La « médecinexploitation » !

Pas mal (rires). Sérieusement, la médecine a été surexploitée en télévision par exemple. Je ne pense pas m’être facilité la tâche. D’ailleurs, personne ne voulait d’Hippocrate au départ.

En quoi, pour vous paraphraser, un médecin de campagne est-il « une figure romanesque » ?

C’est un superhéros ordinaire. Un personnage altruiste, méritant, de bonne volonté qui pratique son métier de manière sacerdotale. Comme tous les superhéros, il est tellement dans le dévouement qu’il finit par s’oublier lui-même. Pour autant, il a des défauts et des difficultés.

Vous aimez handicaper vos personnages. Dans Hippocrate, Vincent Lacoste devait se délester de son image de « fils de », ici François Cluzet se débat avec un cancer.

J’avais vraiment envie de traiter la problématique du médecin malade et, par ailleurs, j’aime les points de départ nets et précis. La maladie est donc posée en préalable et le film en raconte les conséquences.

Jean-Pierre Werner est-il une utopie ? Trouve-t-on encore des médecins tels que lui ?

Bien sûr. C’est sa façon de pratiquer la médecine qui est en train de disparaître. Et encore heureux : il n’a pas de vie, sa femme s’est barrée, il va peut-être crever tout seul… Quand on interroge les étudiants en médecine sur leurs motivations, on revient invariablement sur leur envie de faire le bien, de sauver des vies. Ce n’est qu’une minorité qui souhaite greffer des cheveux sur la Cote d’Azur ! L’humanisme n’est pas une valeur du passé. Ca fait plus de trois ans que je n’ai pas pratiqué et je vous avoue que ça me manque. Le rapport aux patients est d’une telle richesse spirituelle.

François Cluzet s’est-il imposé au rôle ?

À la fin de l’écriture, j’ai aussitôt pensé à lui. Ce que j’aime chez les acteurs, et chez François en particulier, c’est le mélange de puissance et de vulnérabilité. Quand on filme quelqu’un qui possède ça, on sait qu’il va se passer quelque chose à l’écran. Je crois que de son côté François avait envie de jouer un personnage altruiste, tourné vers les autres.

La réputation de Cluzet fait-elle peur ? On le dit très perfectionniste…

Pas du tout. Il est dans le questionnement, et heureusement. C’est surtout un excellent partenaire. Il aime les acteurs. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui ne dit que du bien de ses collègues, même de ceux avec lesquels il est potentiellement en concurrence pour des rôles.

Depuis Hippocrate, on a l’impression que vous vous tenez à des principes de mise en scène forts qui donnent à vos films ce style documentaire, « pris sur le vif ».

C’est une question de direction artistique. Le choix des acteurs est primordial pour commencer. Tous les comédiens, y compris les seconds rôles les plus effacés, sont professionnels. J’écris pour chacun d’eux une partition, je veux qu’ils aient quelque chose à jouer même sur une ou deux séquences seulement. Le travail avec le chef opérateur est le second point. Je lui demande de se mettre au service des acteurs, de s’adapter. Je veux que la caméra soit le plus libre possible. Enfin, j’accorde une attention maniaque aux costumes et aux décors. Ce sont ces détails-là qui donnent le sentiment de réalité.

Les personnages sont chez vous définis par leurs actes et par un rapport concret aux choses. C’est très différent du cinéma d’auteur français traditionnel.

Je prends ça comme un compliment. Ce qui m’intéresse, c’est de filmer des situations qui, mises à bout à bout, donnent quelque chose de romanesque, de divertissant.

Vous êtes plus Loach que Rohmer. Ou Sautet que Pialat.

Complètement. Loach est pour moi la référence du cinéma social. J’aime aussi sa capacité à amener de la comédie dans son cinéma.

Le prochain film formera-t-il un tryptique ?

Non, je passe à autre chose. Je suis en pleine écriture. Vous verrez, les gens diront que c’est Hippocrate transposé dans un univers différent. (rires)

@chris_narbonne