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Sylvia Kristel, Michel Piccoli, Gérard Depardieu. Trois noms ornent la couv de ce Première de novembre 1976, le tout premier numéro. Ils sont à l’affiche de René La Canne de Francis Girod. Mais seul le visage de l’actrice est en photo de Une où l’on trouve également les noms de Catherine Deneuve ou Jack Nicholson. Première a une ambition : être le magazine du cinéma populaire de qualité. Et à l’époque, l’actrice d’Emmanuelle incarne mieux le renouveau (et accessoirement attire plus de lecteurs) que la plupart des monstres du cinéma français. Le premier volet de ce qui restera la saga érotique la plus connue du pays a réuni 9 millions de spectateurs deux ans plus tôt. La France des couples avec enfants a vibré à l’unisson de cette jeune ingénue en plein roman d’initiation libertine, icône d’une libération sexuelle un rien bourgeoise. Au moins deux générations successives d’ados y trouveront un de leur premier fantasme sexuel, à défaut d'y éprouver leur premier émoi de cinéma.  Plus qu'un fantasmeBref, tout le monde adore Emmanuelle, donc l’industrie l’aime aussi. « Sylvia Kristel  est devenue n°1 au box-office japonais et l’une des actrices les plus demandées en Italie, en Allemagne et aux Etats-Unis » rappelle Gérard le Scour dans Première. Le magazine parie donc sur la « mainstreamisation » de Kristel. Le sex symbol de Just Jaekin serait déjà en passe de devenir l’égérie du gratin du cinéma français. Jean-Pierre Mocky (Un linceul n’a pas de poche), Alain Robbe-Grillet (Le jeu avec le feu), Roger Vadim ou Claude Chabrol l’ont inscrit à leur générique. Des petites apparitions certes, son nom sur l’affiche étant un meilleur garant de succès que l’importance de son rôle. Mais si Kristel n’est pas encore une star elle est déjà plus qu’un simple fantasme. Pour Première, ce mois de novembre 1976 frappe les trois coups de l’Acte II, scène I. Kristel a le premier rôle dans René La Canne de Francis Girod aux côtés de Depardieu et Piccoli. « Dans cette comédie menée à un train d’enfer, elle va certainement prendre une nouvelle dimension. Car René La Canne, joyeuse farce en vert et rose – les couleurs dominantes du film – va renouer avec la grande tradition des feuilletons populaires » écrit Le Scour.Nue36 ans plus tard la formule fait sourire. Le film de Francis Girod n’a pas laissé une trace indélébile dans le vaste patrimoine national de la comédie policière et Sylvia Kristel ne deviendra jamais autre chose qu’Emmanuelle dans l’imagerie populaire. En réalité, cette couverture n’est pas le début d’autre chose que de la fin. La filmographie abondante de Sylvia Kristel s’arrête presque net : certes elle tourne aux Etats-Unis dans Le Plus Secret des agents secrets (1979) de Clive Donner, ou en Italie, dans Les Monstresses (1979) de Luigi Zampa mais le cinéma ne veut d’elle que comme égérie érotique. Elle retourne avec Jaekin L'amant de Lady Chatterley et la comédie érotique Private Lessons. Petit à petit, le cinéma perd sa trace et sa vie privée devient elle aussi un long chemin de souffrances, qu'elle raconte en 2006 dans son autobiographie, Nue.  Le parcours et la vie de l’actrice mériteraient un biopic. Si c’était le cas, la comédienne qui aurait le rôle titre aurait les honneurs de notre magazine. On écrirait bien Sylvia Kristel à nouveau en couverture de PremièreDaniel De Almeida