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Le film sera diffusé dimanche soir pour la première fois en clair sur Numéro 23.

Le biopic rap est sans doute la branche la plus pauvre du biopic musical : pas de grands cinéastes derrière la caméra, pas de grands acteurs devant. Quand le rock alignait des pointures (Oliver Stone pour The Doors, James Mangold pour Walk The Line, on en passe), le rap n'attirait que des réalisateurs issus de la télévision ou du marché dvd et des comédiens inconnus. Ce qui explique sans doute que malgré l'importance qu'a eue un rappeur comme Biggie Smalls, le grand public international n'a pratiquement pas entendu parler du biopic Notorious B.I.G. La seule façon de devenir populaire était de recourir à l'astuce vieille comme le monde qui consiste à romancer totalement la vie du héros, changer son nom tout en le faisant jouer par le rappeur lui-même au top de sa gloire. C'est ce qui a pu donner 8 Mile pour Eminem et Réussir ou mourir pour 50 Cent, qui ont fait des excellents scores en surfant sur la notoriété de leurs acteurs principaux. Dans les deux cas, tout le monde sait parfaitement qu'ils jouent leur propre rôle et on accepte tacitement le film comme un biopic version blockbuster : Bunny, c'est Marshall Mathers et Marcus c'est Curtis Jackson, sans l'ombre d'un doute. Le choix du « film inspiré de » plutôt que du format biopic classique permet de prendre de larges libertés avec la réalité sans avoir de compte à rendre à personne tout en plaçant suffisamment de références directes et de clins d’œil en tout genre pour que les fans se retrouvent complètement dans l'histoire.

Straight Outta Compton : la seconde révolution N.W.A.

Straight Outta Compton n'a pas fait ce choix. Les héros sont bel et bien les membres du groupe, tous appelés par leur nom, tout comme leurs proches et associés. Le casting principal est composé d'inconnu à l'exception de Paul Giamatti (qui joue Jerry Heller) et le réalisateur F. Gary Gray n'est pas tout à fait novice mais connu du grand public comme un « simple » réalisateur de films d'action (Négociateur, Braquage à l'italienne). Il a avant tout été choisi pour sa proximité avec Ice Cube, qu'il avait mis en scène dans Friday en 1995. On est donc dans la configuration du biopic rap classique. A un détail près : Straight Outta Compton est un carton.

NWA, le groupe fondateur

Soyons clairs : il n'y a pas de fulgurance de mise en scène ni d'interprétation, même si tous les acteurs sont bons. La réussite du film en salles outre-Atlantique s'explique autrement. D'abord par la nature du groupe, qui se prête parfaitement à l'exercice du biopic : NWA a toujours été dans l'auto mise en scène - c'est précisément le groupe qui a fait comprendre au reste du monde l'importance de l'image et de sa mise en scène. Ainsi, l'artificialité inhérente au genre s'accorde ici assez bien à ce qu'était le groupe, ce super boys band du ghetto (malgré la violence fondatrice du gangsta rap et la dureté des paroles). Le côté hollywoodien de Straight Outta Compton ne fait lui qu'accompagner les différentes étapes par lesquelles est passé N.W.A et renvoie à l'ambiance de leur musique elle-même : radicale mais toujours divertissante, avec un sens du spectacle inégalable pour l'époque.

L'autre clé du succès du film tient sans doute à sa fonction de cours de rattrapage. N.W.A est un groupe fondateur, qui a popularisé voir donné naissance à tout un sous-genre musical qui domine le registre depuis lors : le gangsta rap. A cela s'ajoute l'évolution des instrus qui a marqué l'identité du rap dit West Coast. Or la durée de vie du groupe a été somme toute extrêmement courte, ce qui fait que même si un nombre incalculable d'artistes les citent en référence, il y avait bel et bien une histoire à raconter, que seuls les contemporains de l'époque ont connue. C'était aussi l'occasion de rappeler que derrière l'outrance d'un "Fuck DA Police" il y avait beaucoup de frustration, sentiment toujours d'actualité.Enfin, il y a la notoriété des trois « héros » du film. Ice Cube est aujourd'hui connu du grand public pour sa carrière d'acteur, Dre a été un artiste incontournable pour plusieurs générations, y compris celles qui l'ont découvert par le biais de ses poulains (Eminem en tête) et pour un public plus restreint, Eazy E est le-gangsta-rappeur-mort-que-tout-le-monde-dédicace. L'addition de ces personnalités et du côté hommage posthume suscite un intérêt autour du film qui dépasse effectivement celui des autres longs-métrages du même genre.

Straight Outta Compton : "Un street-conte de fées"

Straight Outta Compton, le film fondateur ?

Un tel succès au box-office a rapidement des conséquences et laisse penser que Straight Outta Compton va faire des petits : il faut s'attendre à entrer dans l'ère des biopics rap. Ce qui n'est pas forcément une bonne nouvelle puisque, si on met de côté les idées de biopics déjà dans les tuyaux depuis longtemps (les films sur Tupac et Old Dirty Bastard par exemple), voici les projets qui nous attendent et ont été lancés grâce au succès de NWA : Public Enemy, Outkast, le Wu-Tang Clan, Dogg Pound, Gangstaar, ainsi que les labels Death Row, Roc-a-Fella et Murder Inc. Il y a sans doute quelques histoires intéressantes à raconter, mais l'ensemble ressemble surtout à du pur opportunisme mal pensé. Et à l'inverse de NWA, tout le monde n'a pas eu la chance d'arriver à point nommé pour révolutionner le rap, ce qui nous laissera essentiellement des récits convenus sur l'ascension de jeunes artistes. Et au pire, une bonne bande originale.

Yérim Sar

N.W.A. Straight Outta Compton a été victime de whitewashing

N.W.A. - Straight Outta Compton de F. Gary Gray avec O'Shea Jackson Jr., Corey Hawkins, Jason Mitchell sera diffusé demain soir sur Numéro 23. Bande-annonce :