Snowden
Pathé

Comme un nouveau Né un 4 juillet, avec Internet dans le rôle du Vietnam.

Snowden sera diffusé dimanche soir sur C8. Voici la critique de Première :

Où était passé Oliver Stone ? L’homme n’a jamais cessé de tourner mais, depuis une dizaine d’années, il semblait s’être perdu en chemin, enchaînant les pamphlets maladroits (W., l’improbable président), les navets opportunistes (Wall Street : l’argent ne dort jamais) et les requiem pompiers (World Trade Center). Bonne nouvelle pour les fans : Snowden sonne comme un retour aux affaires – c’est un gros film-dossier comme ceux qui firent sa gloire dans les années 80-90. Carré, costaud, efficace. Le réalisateur a trouvé dans la vie de l’analyste de la NSA devenu ennemi public n°1 l’occasion de renouer avec l’une des veines les plus appréciables de sa filmo : celle des portraits empathiques de patriotes rebelles et grandes gueules. Edward Snowden est un descendant de Ron Kovic (le vétéran du Vietnam de Né un 4 juillet), du Jim Morrison des Doors, du procureur obsessionnel joué par Kevin Costner dans JFK. C’est un idéaliste désenchanté. Un alter-ego stonien. Un amoureux déçu de l’Amérique.

Et un vrai héros de cinéma, aussi. Ce qui n’avait a priori rien d’évident, étant donné qu’on ne parle pas ici d’un chanteur en pantalon de cuir noir électrisant les foules à coups de psalmodies psychédéliques, mais d’un nerd à lunettes un peu pâlichon, dont l’occupation principale est de taper d’un air très concentré sur un clavier d’ordinateur. Pourtant, la question du potentiel cinématographique d’Edward Snowden avait déjà été réglée de manière éblouissante par Citizenfour, le documentaire oscarisé de Laura Poitras, qui immortalisait en 2013 ce moment de bascule historique : l’instant ahurissant où, depuis une chambre d’hôtel de Hong-Kong, l’ancien employé modèle de la National Security Agency décidait de devenir la némésis de l’administration Obama, en révélant au monde l’ampleur de la cyber-surveillance orchestrée par les services de renseignement US. La caméra de Poitras enregistrait l’Histoire en marche dans un luxe de détails inouï : les pieds nus de Snowden, ses jambes repliés sur le lit de sa chambre d’hôtel, son ton si calme alors que l’orage gronde au loin, le drap derrière lequel il se cachait pour taper son mot de passe, ses petites grimaces devant le miroir quand il comprend qu’il ne pourra plus jamais se promener incognito… La question n’était pas de savoir si Snowden était un héros de cinéma, mais plutôt : comment rivaliser avec ça ?

Citizenfive

Oliver Stone a le mérite de ne pas faire comme si Citizenfour n’existait pas – tout son film s’enroule autour de la reconstitution de ces conversations hongkongaises historiques entre le lanceur d’alerte et les journalistes du Guardian venus recueillir son témoignage. Mais il s’adresse avant tout à ceux qui n’ont pas vu le docu de Laura Poitras. A ceux qui ne connaîtraient l’affaire que de façon parcellaire et lointaine. Il veut médiatiser le combat d’Edward Snowden (avec la bénédiction et la collaboration de celui-ci) et bâtit son film avec la rouerie d’un cinéaste qui estime que le meilleur moyen d’éveiller la conscience du spectateur est de lui faire passer un bon moment. Biopic mainstream aux accents de thriller parano, souvent très divertissant (surtout quand Nicolas Cage vient passer une tête), parfois même assez touchant dans sa reconstitution du long processus psychologique et politique qui convainquit le jeune homme de « trahir » son pays (dans le rôle-titre, Joseph Gordon-Levitt est parfait, et poursuit après The Walk sa série de portraits d’idéalistes flamboyants), le film se regarde comme on lit un bon papier dans un newsmag. Bien écrit et bien sourcé. Au détour d’une scène d’une violence politique hallucinante (Snowden comparant les petits soldats de la NSA aux fonctionnaires zélés du IIIème Reich, devant un collègue médusé joué par le fils de Clint Eastwood), on sent qu’Oliver Stone aimerait aller plus loin. Transformer son thriller en vrai film d’horreur. Le peu d’écho rencontré par Snowden lors de sa sortie américaine, son incapacité à s’inviter dans le débat présidentiel, laisse à penser que Stone aurait peut-être du taper du poing sur la table un peu plus fort. Le polémiste a fait chou blanc mais le cinéaste, lui, retrouve son meilleur niveau depuis les années L’Enfer du dimanche / Alexandre. Même si, en repensant à la petite musique fincherienne de Citizenfour (signée Nine Inch Nails), on ne peut s’empêcher de fantasmer le chef-d’œuvre que le réalisateur de The Social Network aurait tiré d’un sujet pareil…