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Hommage à l'un des derniers rois du 20ème siècle.

Il est parti. Celui qu’on nommait, avec ses complices Sean Connery et Michael Caine, l’un des trois rois du cool. Roger Moore. Le Saint, Lord Brett Sinclair, le Bond des 70’s et du début des 80’s, l’épitome du Rule Britannia suave et décontracté, gentleman grand et élégant doté d’un sens de l’humour et de l’auto-parodie à toute épreuve est mort, emporté par un cancer foudroyant. Curieusement, ce matin même, juste avant que sa triste disparition soit annoncée, on avait glissé dans la platine le DVD original MGM de Dangereusement vôtre (1985), son ultime apparition dans le rôle de James Bond. Pourquoi ce DVD ? Pourquoi maintenant ? Parce que, trouvé hier dans un bac de films d'occasion, il contient le seul témoignage restant du mixage original de la version française Dolby Surround, (avant l’atroce remix 5.1 sur les DVD et Blu-ray subséquents), avec une copie du film sans les retouches digitales faites après (pré-générique recadré et tremblements de terre stabilisés par un employé vidéo idiot qui n’a même pas dû regarder le film une seule fois avant de le massacrer avec ses outils numériques).

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Roger Moore qui disparaît, c’est au fond la même histoire que ce DVD. C’est la culture telle qu’on l’a toujours aimée, qui s’en va à petits feux. Moore était de la trempe de toutes les stars du 20ème siècle, les légendes du rock ou du cinéma ; celles qui avaient pour point commun d’être des personnalités différentes. Des personnalités uniques. Des stars, quoi. Moore, c’était une vraie star. Un mec authentique, qui balançait des ondes positives partout où il passait. Amateur de bons cigares, charmeur, doté d’un sens de l’humour à toute épreuve, il passait son temps à faire des conneries et détendre l’atmosphère. Et c’est cette aura, ce magnétisme qui transpirait à l’écran, qui avait fait son succès - il le reconnaissait lui-même, il n’avait qu’un talent compté d’acteur, se contentant de jouer éternellement des variations de lui-même. Pendant qu’il tournait Le Saint à une cadence infernale, il se prenait parfois à sauter d’un plateau à l’autre pendant les pauses, pour aller se planquer par exemple dans un placard sur les décors de Chapeau melon et bottes de cuir. Quand l’actrice principale (le plus souvent Linda Thorson, parce qu’apparemment Diana Rigg n’appréciait pas particulièrement ses plaisanteries) devait l’ouvrir pour une scène, Moore surgissait en criant "bouh !" à sa grande surprise, déclenchant l’hilarité générale (on ne compte plus les instantanés pris dans ces moments là dans les archives de Chapeau melon). Pour se venger, les producteurs de la série lui avait subtilisé son texte anti-sèches, placé dans les tiroirs d'un décor du Saint qu’il devait fouiller pour une scène, et laissé à la place des mots grossiers type "Tu l’as dans le cul", "souris, tu es filmé", "arriveras-tu à finir la scène sans rire ?". Moore évidemment a craqué, à la grande fureur du réalisateur obligé de retourner la scène.

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Moore, c’était le gars qui était capable de marcher au milieu d’une bagarre hyper-tendue dans un pub, et en deux jeux de mots renverser la situation et faire ensuite trinquer les deux ennemis ensemble comme s’ils étaient des larrons en foire depuis leur adolescence. Une personnalité donc, que les producteurs des Bond avaient bien comprise, en commençant dès L’Espion qui m’aimait à lui tailler le rôle sur mesure. Comme des millions d’adolescents, c’est le premier Bond qu'on a vu au cinéma, incidemment en Angleterre. On se souviendra à jamais de la fin du pré-générique, la chute dans le vide, du haut d’une montagne, et l'attente, infinie, avant qu’il ne déploie son parachute… à l’effigie de l’Union Jack. La salle entière, jusque-là silencieuse comme dans un cimetière, s’est tout à coup dressée d'un coup en hurlant de joie et le pop corn volait dans tous les sens, ainsi que quelques hot dogs. Voilà, Moore, c’était ça.

Un gars qui faisait du bien. Aux Anglais, aux fans. Au monde. Sa carrière allait du Saint à la série Amicalement vôtre en passant par des films comme Bons baisers d’Athènes de George P. Cosmatos, La Seconde mort d'Harold Pelham de Basil Dearden, Gold de Peter Hunt, Les Oies sauvages et Le Commando de Sa Majesté (tous deux d'Andrew V. McLaglen), et... James Bond, qu’il a littéralement sauvé dans les années 70 pour l’emmener dans les années 80, avec une succession difficile a porter. C’est déjà pas mal…

Son décès est d’autant plus troublant, qu’il n’existe plus d’acteur de cette trempe aujourd’hui, avec un tel capital sympathie immédiat, et qu’il arrive après le choquant attentat de Manchester. Cet attentat terrible qui a touché beaucoup d’enfants, que Moore justement défendait (il était depuis 1991 ambassadeur de l’UNICEF). On ne cherchera pas de message dans ce curieux concours de circonstances. On dira juste qu’au moment ou Moore disparaît, on comprend que le 20ème siècle est définitivement en train de se barrer. Alors on pleure doublement et demain matin, on se replonge dans son Moore préféré - les commentaires audios qu’il a enregistrés pour ses Bond sont pas mal pour commencer. Et on prie pour que quelque part, il existe un petit gars de la même trempe qui s'apprête à monter, et qui fera autant de bien, à l’âme et physiquement, que Moore en a fait au monde en nous faisant rire et vibrer pendant toutes ses années. Parce qu’il y a un vide, là, qu’il va falloir combler. Alors un dernier drink, et un dernier cigare levés pour Sa Majesté. Roger and out.

(© PA Photos/ABACA)