DR

Histoire de se laisser le temps de s’en remettre, commençons par une considération générale : ce film/cauchemar ukrainien d’une radicalité sans précédent prouve que le public de la Semaine de la critique à Cannes est hyper résistant. Posons le décor : Ukraine, époque indéfinie entre la chute du mur et nos jours. Un ado sourd muet débarque dans un pensionnat spécialisé et intègre le gang de meneurs qui sévit sur les lieux. Absolument livrés à eux-mêmes, ces pensionnaires - sans passé, sans famille et clairement sans avenir -, exploitent les plus jeunes qu’ils envoient vendre des breloques dans des trains et, surtout, sont à la tête de leur petit réseau de prostitution : toutes les nuits, un des profs et un membre du gang emmènent deux de leurs copines faire le tapin chez les routiers. Au programme : des rapports humains déshumanisés, deux longues scènes de baise, une trèèèèèèès longue scène d’avortement à l’ancienne dans une cuisine cradingue, un massacre final d’une sauvagerie rare et une absence ferme et définitive d’espoir. Le tout, intégralement interprété par des sourds-muets, sans traduction, sans sous-titres, sans voix-off, sans musique. Et ça passe : on estime, à la louche, à un petit 5% le taux de fuite des spectateurs de la salle.Reprenons. On vous voit venir. Mais impossible de répondre à la question j’aime/j’aime pas à propos de ce projet dont l’absolutisme constitue l’intérêt en soi. Outre la prouesse inédite de son dispositif – hommage pour le moins inattendu au muet (true story, c’est la note d’intention du réalisateur) -, l’Ukrainien Myroslav Slaboshpytskiy exhibe une assurance et un talent rares pour un premier film. Avec un aplomb dingue, il étire ses scènes jusqu’à la nausée, multiplie les plans séquences (cinq longues minutes d’avortement en plan fixe, un saccage d’appartement à peu près aussi long, la vengeance finale, filmée en temps réel à travers ces interminables couloirs délabrés du pensionnat, hypnotique) et ne cède jamais rien à l’intention de départ. On ne soupçonnait pas l’énergie qui se dégage d’une engueulade entre sourds-muets, la violence d’une baston sans cri, l’absurdité de ne pas entendre derrière soi le camion qui recule… La violence sauvage, l’insensibilité monstrueuse des protagonistes, l’absence d’espoir qui confine au nihilisme font de The Tribe une œuvre à vomir. Une expérience douloureuse et souvent insoutenable. Et qui nous confronte  à une certaine forme de masochisme puisque, il faut bien l’avouer, on se dit au fond que c’est LE film de cette quinzaine qu’il ne fallait pas rater.Vanina Arrighi de CasanovaThe Tribe de Myroslav Slaboshpytskiy avec Grigoriy Fesenko , Yana Novikova et Rosa Babiy est présenté à la Semaine de la critique à Cannes.