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37 ans après, Stephen King ne s’en remet toujours pas…
 

Sorti en 1980, Shining fait toujours autant parler de lui. Considéré par beaucoup de cinéphiles comme l’un des meilleurs films d’horreur de tous les temps, le long métrage de Stanley Kubrick n’est pourtant pas très fidèle au roman d’origine de Stephen King, qui rappelle régulièrement qu’il n’aime pas le résultat. Il est également rempli d’incohérences : retracer le plan de l’hôtel est par exemple impossible, et de nombreuses théories ont fleuri au fil du temps à son sujet. Le réalisateur aurait ainsi caché dans ce projet des références à l’Holocauste ou la preuve que l’homme n’a jamais marché sur la Lune… Elles sont condensées dans le documentaire Room 237 :

Le réalisateur de Room 237 revient sur les théories les plus bizarres autour de Shining

Entertainment Weekly publie cette semaine un long entretien du producteur Jan Harlan et de la scénariste Diane Johnson, qui reviennent sur les gros changements entre le livre et le film, et notamment sur sa fin, qui est glaciale alors que celle de l’auteur était flamboyante. Nous traduisons ici leurs principales révélations. 

Stanley Kubrick ne voulait pas réaliser de film d’horreur
C’est connu, mais Jan Harlan commence par rappeler que le metteur en scène "ne croyait pas aux fantômes" et qu’il n'était pas tellement emballé à l'idée de réaliser un film d'horreur. Il a accepté l’offre de la Warner Bros. à condition de pouvoir changer ce qu’il voulait. "Ce qui convenait parfaitement à Stephen King, à l’époque. C’était un prérequis pour se lancer sur ce projet, et c’est vrai que Stanley a modifié beaucoup de choses…"

Le final explosif était "trop cliché"
Le roman de Stephen King se termine par la destruction de l’hôtel lors d’un immense incendie. Un concept repris dans la minisérie de 1997 (la photo de l'hôtel en feu ci-dessus vient de là), mais que Stanley Kubrick trouvait "trop cliché", explique Diane Johnson. "Il cherchait quelque chose de plus intéressant visuellement. Et de plus métaphorique." D'où cette idée du labyrinthe dans lequel Jack (Jack Nicholson) se perd en poursuivant son fils et finit par mourir de froid.

"La photo a toujours été le plan de fin"
Diane Johnson est formelle : l’idée de terminer le film sur cette image de Jack Nicholson en 1921 était au cœur du concept. "Ce qui fait sa force, c’est qu’elle est inexplicable, comme la balle de tennis (voir la scène coupée plus loin). C’est un nouvel élément fantôme, on se demande si Jack était là depuis le début… C’est un film complexe où rien n’est expliqué. D’ailleurs, à l’époque, il n’a pas eu un énorme succès. C’est venu après, mais à sa sortie, les gens s’attendaient à un film d’horreur classique, avec une explication. Qui est vraiment le méchant, au final ? Qu’est-ce qui se passe ? Beaucoup de gens ont été déçus. Alors que c’est exactement le genre de réactions que Stanley recherchait. Il voulait surprendre, perdre le public. (…) Et puis, on peut trouver une explication à cette photo, dans le fond. Enfin, une explication paradoxale, car elle est à la fois réelle et irréelle : c’est que Jack était dans l’hôtel depuis le début. Une version antérieure de lui en tout cas. Ce serait la ‘créature de l’hôtel’, un être magique qui se réincarnerait dans différentes victimes. Concrètement, c’est impossible de résoudre ce mystère. C’est censé être magique."

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Il fallait faire mourir quelqu'un. Même Danny ?
"Dans le roman, personne ne meurt à part Jack, rappelle-t-elle. Et Kubrick pensait que quelqu’un devait absolument se faire tuer, sans quoi ce ne serait pas un vrai film d’horreur. On a donc étudié plusieurs possibilités. Ce qui l’intéressait le plus, c’était la relation entre Danny (Danny Lloydet son père. Il aimait le fait de raconter l’histoire du point de vue d’un garçon qui est effrayé par son papa. Je me souviens qu’il avait une image en tête : celle du dessin d’un corps tracé à la craie sur le sol. Un petit corps… il aimait cette image, mais en même temps, il était trop attaché au personnage. Finir le film comme ça aurait été vraiment terrible." Au final, Jack meurt, mais pas comme dans le livre et c'est Dick Hallorann (Scatman Crothers) qui est victime de sa folie en cherchant à aider Wendy (Shelley Duvall) et Danny.

La fin alternative
L’été dernier, un premier jet du scenario de Shining a été mis en ligne et il comprenait notamment une autre fin où Halloran, justement, revenait à l’hôtel. Sauf qu’une fois dans les lieux, alors que Wendy avait réussi à tuer Jack, c’est lui qui récupérait la malédiction. Et il essayait de la tuer, ainsi que Danny. "C’était intéressant, car ça montrait bien le pouvoir de l’hôtel, détaille la scénariste. Halloran aurait été montré comme un mec sympa tout au long du film et d’un seul coup, il serait devenu un monstre encore pire que Jack. Mais ça manquait de mystère, c’était trop classique."

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Kubrick ne voulait pas de scènes trop gores
Au-delà de la fin, l’équipe a modifié plusieurs choses dans le film en général. Il manque notamment une scène où Danny est agressé par des arbres taillés en forme d’animaux. Il s’en sort sain et sauf, mais écorché. "Il y a bien cette séquence du sang giclant de l’ascenseur, mais Kubrick trouvait ça vulgaire de montrer trop de sang, de façon générale. Et il n’aimait pas cette idée d’arbres mouvants, il trouvait ça grotesque. Par contre, il s’est inspiré du côté "nature" de ce passage pour le labyrinthe. Mais revenons au thème du sang. Loin du gore, il voulait quelque-chose de plus psychologique. Cette scène de l’ascenseur est marquante, car elle réveille une peur interne chez le spectateur, c’est très différent d’un plan où quelqu’un se fait poignarder, par exemple. D’ailleurs, il l’avait en tête dès le début de l’écriture. Mais il a insisté sur cette idée de tenir en haleine le public sans montrer trop de sang."

Wendy devait avoir un plus grand rôle
"Le film était trop long, on a dû couper des choses, explique-t-elle ensuite. Il était trop bavard aussi. Dès le script on a supprimé des scenes, d’ailleurs. Wendy avait beaucoup plus de choses à dire dans le scenario que ce qu’on voit finalement dans le film."

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Les scènes coupées ont été détruites
"Une fois tourné, la Warner Bros. lui ademandé de couper des choses, et il a accepté de virer quelques scènes. Notamment la séquence, importante dans le livre, où Jack trouve un livre illustré qui lui révèle les ‘pouvoirs’ de l’hôtel. Stephen King avait écrit ça en pensant aux cadeaux empoisonnés des contes classiques. Au lieu d’une pomme, là, c’est ce livre qui participe à détruire Jack. J’ai vraiment insisté pour la garder, je trouvais ça très intéressant et ça faisait écho à la photo de la fin."

On entrevoit tout de même l’objet en question durant un instant dans le film, sur le bureau de Jack, illustre EW :

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Il existait une autre scène, à la toute fin du film, où le directeur de l'hôtel rendait visite à Danny et à sa mère à l’hôpital. Il expliquait alors qu’il serait impossible de prouver le pouvoir surnaturel de l’hôtel, mais il donnait en même temps au petit garçon la balle qu’il avait vue devant la chambre 237. Ce qui aurait en fait été une preuve de plus ! "C’était un petit twist supplémentaire, juge Johnson, mais c’est vrai que ce n’était pas très utile, même si ça rassurait les spectateurs de voir que Danny et Wendy allaient bien." Lors des premières projections de presse, la scène était présente, mais Kubrick trouvait l’histoire de la balle un peu trop confuse et a demandé à la faire retirer au dernier moment.

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EW précise en fin d’article que ces deux scènes coupées ont été détruites à la demande de Stanley Kubrick, qui avait peur que son film puisse être retouché sans son accord. "Il ne l’aurait pas lui-même remonté, explique Harlan, mais il a systématiquement fait tout détruire, même les rushs, au cas où. Il vivait dans le présent, ne regardait jamais en arrière…"
Il existe cependant des preuves de leur existence : le livre illustré est archivé dans une université londonienne et la fille du réalisateur, Vivian, qui était chargée de filmer le making-of de Shining, a pris 4 photos de tournage dans l’hôpital. 

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"Je n’expliquerai rien, c’est un film de fantômes !"
Jan Harlan revient aussi sur les diverses théories qui ont fleuri autour du film. "Déjà sur le tournage, des gens de l’équipe lui demandaient : ‘Comment on peut expliquer ceci ou justifier cela ?’ Mais il répondait toujours : ‘Je n’expliquerai rien, car je ne comprends pas moi-même. C’est un film de fantômes !’ Vous n’imaginez pas le vacarme à propos de l’hôtel, de ses fenêtres immenses à l’intérieur alors que les plans en extérieur on n'en voit que des petites, ou du plan impossible à redessiner tellement l'agencement des pièces est farfelu. N’importe quel gamin repère ce type d’erreur. Et à chaque fois, Stanley répétait : ‘Laissez tomber, c’est un film de fantômes !’ Je sais bien que des tas de gens y voient des messages cachés, mais je ne crois sincèrement pas que ce soit un film à message. Beaucoup de théories ont été purement inventées. C’était assez calme quand il était en vie, mais maintenant qu’il est mort, ça n’arrête plus. Certaines sont fun, mais d’autres dépassent les bornes. La plus insultante, c’est l’idée selon laquelle Shining serait un film sur l’Holocauste. C’est un outrage envers Kubrick, qui prenait ce crime très au sérieux, et surtout envers les victimes de l’Holocauste. Les autres théories sont moins graves, la plupart cherchent simplement un sens profond aux erreurs de continuité du film."

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Bande-annonce de Shining :