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Le polar de Curtis Hanson fête aujourd'hui ses 25 ans.

Mis à jour du 19 septembre 2022 :

Pour les 25 ans de L.A Confidential, nous vous reproposons cet article publié en 2016 suite au décès du réalisateur Curtis Hanson. 

Article du 21 septembre 2016 : 

Il serait injuste de réduire l’oeuvre de Curtis Hanson à ce film. Injuste parce que ce type a signé quelques petites pépites passées totalement sous le radar (voyez son beau film sur le poker à Vegas – Lucky You vous m’en donnerez des nouvelles) et qu’il a réussi à imposer son art sans esbroufe. Bien au-delà de L.A. Confidential. Juan Antonio Bayona, qui s’y connaît en cinéma, disait sur son compte Twitter que Hanson était un maître sous-estimé du tempo et des mots. On peut difficilement dire mieux…

 

Curtis Hanson : "Les films sont comme des rêves"

Pas que L.A. Confidential donc, mais quand même. Plus que son chef-d’œuvre (ce qu’il reste), ce coup d’éclat qui ressemble à un film de vieux maître (sens du cadre, du tempo, de la grandeur tranquille) a défini le meilleur d’une forme de cinéma et fait resurgir l’espace de quelques années le spectre des très grandes heures d’Hollywood. Si on fait le compte, il n’y en aura pas eu beaucoup d’autres des films de cette trempe, de cette classe, de cette assise. Ni d’adaptations aussi réussies de livre-béhémoth. Avec cette retranscription du bouquin d’Ellroy (un livre à l’intrigue encore plus labyrinthique que Le Grand Sommeil), Hanson et son scénariste Brian Helgeland signaient un grand film noir, un film "de personnages", un train-fantôme qui parcourt le L.A. fantasmatique des 50’s à toute berzingue et un hommage à Hollywood - un Hollywood en forme de trompe-l’œil où les putes étaient déguisées en stars et les reporters en criminels.

L.A. Confidential
Warner Bros.

C’est quoi, un film noir ?

En revoyant le film ce qui frappe d’abord, c’était le script. Incroyablement écrite, l’histoire s’enchaînait à un rythme harmonieux, ponctuée de flambée de violence d’autant plus folles qu’elles se faisaient rares. Mais au-delà de la fluidité du récit, de la maîtrise des arcs et de la tension, c’est le design qui rendait totalement dingue. On est en 97 et à l’époque les films noirs puent le romantisme éculé. Hanson dans un effort surhumain traçait sous nos yeux un futur au genre embaumé - quelque part entre l’héritage respectueux et la réinvention suave. Son secret ? L’authentique et l’intimité avec son sujet. Pour L.A. Confidential, c’était donné : Hanson fut le fondateur d’une revue critique, Cinéma, avant de devenir l’homme à tout faire de Corman (scénariste, réalisateur chez AIP). L.A. ? C’est là qu’il a grandi. Tout le projet du film pourrait du coup être résumé dans cette phrase du réalisateur : "Quand j'ai parlé du film à Dante Spinotti (son chef opérateur NDLR), je lui ai dit que je voulais surtout éviter l'aspect film noir. Quand il m'a fait "c'est quoi, film noir ?", j'ai su que je tenais mon homme. Je voulais qu'on ait un sens de ce qu'était la ville en 1953, mais aussi qu'on l'oublie très vite pour se laisser captiver par l'histoire. Les lieux étaient authentiques, mais pas traités rétro, par la lumière ou les costumes. Pas de chapeaux pour les flics, même si beaucoup en portaient à l'époque. Le chapeau, ça renvoie immédiatement à un certain style."

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C’est ce qui frappe dans L.A. Confidential. Pas l’absence de chapeau, mais son épaisseur tactile, sa beauté fragile et nécrosée immédiatement palpable. C’est sans conteste la touche Hanson, sa modestie, sa façon de se mettre en retrait comme un artisan sincère mais c’est aussi son réalisme étrange qu'on n'avait pas vu depuis… Chinatown. Il ne s’agit pas d’atmosphère ou d’intrigue. C’est autre chose : un travail sur les décors qui évoquent des endroits qui n’existent plus et génèrent instantanément – comme les classiques hollywoodiens – de la mythologie. Des personnages qui existent. S’incarnent. Grâce à un casting parfait. Kim Basinger (en fausse Veronica Lake) dans le rôle oscarisé de la femme fatale avec ce dialogue qui hante longtemps après la séance ("I thought I was helping you,'') ; Russell Crowe féroce et fragile ; Guy Pearce qui explosait l’écran et Kevin Spacey, tout en souplesse, remplissant les vestes de Jack Vincennes avec une aisance sidérante et un sens de la mesure terrassant. Stop. La manière dont il faisait exister ce personnage entre honnêteté et corruption, mythologie et réalité était hallucinante… Et on peut risquer l’hypothèse qu’il est la clé du film, ce qui reste quand les lumières se rallument. Entre beauté et cynisme, froideur et empathie, son personnage est à l’image de la prose karaté d’Ellroy. Pas un hasard s’il a la meilleure scène (face à James Cromwell). Tout ça rappelle qu’un film noir sans traces de surmoi ou de référentiel grotesques, qui flirte gentiment avec le mélo historique (c’est comme ça qu’Ellroy définissait le film), fignolé avec un savoir-faire gonflé par une touche de génie est suffisamment rare pour qu’on puisse trouver ça simplement exceptionnel.

Bande annonce de L.A. Confidential :