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On est absolument d’accord avec Dimitri Rassam, le producteur de Paradise Lost, pour qui « il n’y a que deux comédiens qui peuvent réellement incarner Escobar : Javier Bardem et Benicio Del Toro » (à lire dans le prochain numéro de Première). Il s’agit en effet des deux seuls grands acteurs « latino » sur lesquels un projet d’envergure peut se monter. Le premier est espagnol mais fait carrière à Hollywood depuis une dizaine d’années, et ce parcours pourrait très logiquement le mener jusqu’au fief de Medellin. Les frères Coen ont fait de Javier Bardem la figure même du Mal dans No Country For Old Men, Sam Mendes le grand méchant de son James Bond, Skyfall, puis Ridley Scott un baron de la drogue dans Cartel. Outre son aura, l’acteur espagnol s’est taillé le parfait costard pour incarner Pablo Escobar. On lui a d’ailleurs déjà proposé le rôle pour Killing Pablo, le projet de Joe Carnahan sur le narco colombien dont on n’a plus de nouvelles depuis… que Bardem a fait défection.Des deux côtés du traficMais pour Benicio, c’était tout simplement écrit, et c’est comme ça qu’il a commencé : en 1990, il incarne un narco dans la mini-série de NBC Drug Wars produite par Michael Mann, fresque ambitieuse et minutieuse adaptée d’un livre-enquête sur la guerre de la drogue. Dix ans plus tard, il replonge dans le milieu avec Traffic, le grand traité de Steven Soderbergh sur la question (et inspiré de la série à qui il reprend quatre acteurs, dont Benicio). Cette fois pourtant, il est de l’autre côté de la ligne de combat, dans la peau d’un flic mexicain qui lutte pour son intégrité dans un monde pourri par la corruption. Un rôle qu’il joue presque intégralement en espagnol et qui lui vaut l’Oscar du meilleur second rôle. Les dessous du trafic de drogue n’ont donc presque plus de secret pour lui, sans compter qu’il incarne le dealer personnel de Johnny Depp dans le trip de Terry Gilliam Las Vegas Parano. Même si le film d’Andrea Di Stefano ne met que peu en scène la traque du grand criminel colombien, celle-ci fait partie de la mythologie du personnage et, de ce point de vue, on peut mentionner son rôle de bête traquée dans le film de William Friedkin (Traqué, 2003) qui repose tout entier sur la chasse à l’homme que lui livre le traqueur hors-pair Tommy Lee Jones pendant 90 minutes.Charisme et ambiguïtéActeur au charisme dingue, Benicio Del Toro a en plus prouvé sa capacité à porter sur ses épaules le charisme d’un autre en incarnant Che Guevara dans le biopic en deux parties de Steven Soderbergh - et avait donc déjà réussi l’exercice casse-gueule de prêter ses traits à une figure mondialement connue. Pour justifier son casting en Pablo Escobar, on aurait pu s’arrêter là. Il lui manquait pourtant la figure du mal à sa filmo, et on ne compte pas les rôles de petits gangsters cumulés les premières années de sa carrière : c’est Oliver Stone qui lui donne dans Savages (Stone qui devait produire un des multiples projets avortés sur Escobar), l’adaptation du roman de Don Wislow dans laquelle Benicio est le bras droit du boss du cartel, le bras armé plutôt, qui cultive un goût certain pour la torture. Si Paradise Lost explore peu la face sombre de Pablo Escobar, filmé comme un père de famille en survèt plus qu’un psychopathe sanguinaire, le passé de cinéma de Del Toro permet en fait d’intégrer cette dimension violente du personnage, même larvée. Le résultat à l’écran est envoûtant et tellement évident qu'on se demande comment ce n'était pas arrivé avant.Vanina Arrighi de CasanovaParadise Lost sort en salles le 5 novembre prochain Voir aussiLooking for Pablo : 15 ans de projets sur Escobar au cinéma