LES POUPEES RUSSES (2004)
PRODUCTION / CE QUI ME MEUT

Arte poursuit son cycle consacré à Cédric Klapisch, ce soir.

En attendant de voir Salade grecque, la série télé d'Amazon Prime Video déclinée des films de Cédric Klapisch, qui arrivera cette semaine sur la plateforme, Arte se lance dans la rediffusion de la trilogie du cinéaste, le mardi soir. Une semaine après L'Auberge espagnole, place aux Poupées russes, sorti en 2005 au cinéma.

 En 2013, au moment de la sortie de Casse-tête chinois, Première avait publié quelques réflexions sur son "héros", Xavier, joué par Romain Duris. Flashblack.

« Xavier, il faut que tu fasses quelque chose, parce que tu vires con là » dit Isabelle (Cécile de France) à Xavier (Romain Duris) dans une séquence de Casse-tête chinois. On pourrait pourtant se demander si le héros de la « trilogie des voyages de Xavier » démarrée en 2002 avec L’Auberge espagnole n’est pas un petit con depuis le début. A tel point qu’un des principaux enjeux narratifs du dernier volet semble être de racheter son personnage principal pour lui faire enfin quitter cette embarrassante étiquette. Si dans PremièreCédric Klapisch réfute « l’idée que c’était mieux avant et que les jeunes sont tous des cons », c’est bien que le regard porté par le public sur le héros de sa trilogie préoccupe le cinéaste. Casse-tête chinois est-il l’histoire de la rédemption d’un con ? Tentative de réponse à travers un portrait du héros de Klapisch, considéré par certains comme l’emblème de toute une génération.
Damien Leblanc

Attention, spoilers !


 

Un garçon suffisant et égocentrique

Xavier a toujours eu tendance à formuler des jugements désagréables à l’encontre de ceux qui l’entourent. « Vous n’êtes pas très rock’n’roll comme fille, mais vous le savez bien », dit-il ainsi à Anne-Sophie (Judith Godrèche) dans L’Auberge espagnole. Toujours content de lui et persuadé qu’il est un garçon cool, il reproche à sa colocataire Wendy (Kelly Reilly) d’être trop sérieuse, puis estime dans Les Poupées russes que son voisin Mr. Boubakeur « est le mec le plus inintéressant qui existe au monde. » D’autres marques de mépris sont destinées à un travailleur que Xavier interviewe (« Je suis comme vous, moi, j’ai un boulot de merde qu’on me demande de faire et qui me fait chier. J’en ai rien à foutre de vous poser des questions ») ou aux engagements politiques de Martine (Audrey Tautou) : « C’est impressionnant, t’as bien appris ton texte. »

Incapable de faire un geste désintéressé en direction des autres dans Les Poupées russes, Xavier s’adoucit pourtant dans Casse-tête chinois et fait preuve d’un altruisme nouveau en acceptant de donner son sperme pour que son amie lesbienne Isabelle puisse avoir un enfant. Il fait également preuve d’une plus grande humilité lors de son séjour à New York, où il désire s’installer pour voir ses deux enfants. En quête d’un titre de séjour, le héros désormais quadragénaire se retrouve dans la peau d’un sans-papiers et affronte par là des problèmes d’une ampleur qu’il ne connaissait pas. Divorcé mais attaché à son rôle de père de famille, Xavier va alors se montrer moins agressif et hautain à l’égard de son entourage, bien qu’il garde en lui une nervosité naturelle. 

Casse-tête chinois
Studio Canal

Un fils odieux

Si le père de Xavier (joué par le regretté Jacno) n’apparaît que dix secondes dans L’Auberge espagnole, la mère du héros (incarnée par Martine Demaret) subit quant à elle les foudres de son fils dès les premiers instants de la trilogie. Elle essuie ainsi un « Ta gueule, maman » à l’aéroport puis un « Putain maman, ta gueule » au milieu du film, et continue de subir à peu près le même traitement dans Les Poupées Russes. Pourtant, les rapports entre Xavier et sa mère s’avèrent plus calmes dès les premières minutes de Casse-tête chinois. Alors qu’il annonce son divorce, il écoute les remarques de sa mère (« Oh non Xavier, t’es pas obligé de faire les mêmes erreurs que moi et ton père. C’est affreux, vous alliez si bien ensemble. ») sans l’engueuler. Et se réconcilie d’ailleurs au fil du film avec sa propre histoire familiale. Son père (incarné cette fois par le cinéaste Benoit Jacquot) lui rend ainsi visite à New York et lui permet de voir au détour d’une rue de Manhattan que de réels sentiments amoureux ont uni dans leur jeunesse les parents de Xavier, désormais divorcés. Cette possibilité de comprendre enfin ce qu’ont vécu ses géniteurs participe à l’apaisement du personnage.

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Un menteur invétéré

S’il était compréhensible de voir Xavier et ses camarades de la colocation barcelonaise manipuler la réalité (notamment dans la séquence où ils cachent au petit ami de Wendy que cette dernière a un amant américain), les différents mensonges de Xavier dans Les Poupées Russes étaient moins glorieux de la part d’un trentenaire. Faisant croire à son propre grand-père qu’il sort avec sa pote lesbienne Isabelle ou mentant à la chaîne de télévision qui l’emploie en tant que scénariste, Xavier présentait toutes les tares de l’adulescent qui refuse d’affronter le réel.

Si l’art de la dissimulation persiste dans Casse-tête chinois, les mensonges de Xavier s’adressent désormais aux services américains de l’immigration et sont présentés comme nécessaires. Avec le mariage blanc de Xavier avec une Chinoise, le mensonge revêt ici des atours plus politiques et héroïques. Mis face à des responsabilités plus grandes, c’est en père de famille que Xavier ment cette fois et Cédric Klapisch parvient avec malice à faire passer ces mensonges pour des défis lancés au système et des générateurs de lien social qui permettent en fin de compte à plusieurs personnages de se rencontrer et d’échanger au-delà de leurs différences.


 

Un nombriliste en voix-off

Omniprésente dans la trilogie, la voix-off du héros surligne des évidences qui enferment le personnage dans de petites certitudes auto-satisfaites. «Voilà c’est ça, une histoire d’amour c’est avant tout une histoire », se dit par exemple Xavier, qui semble constamment (et de manière consternante) découvrir d’incroyables vérités : « C’est dingue comme ces moments supra-cons sont forts. » Même dans les moments de doute et de découragement, la voix-off a le don d’imposer le point du personnage en le faisant passer pour un grand penseur. « Voilà c’est moi ça. Je vais bientôt avoir 30 ans, seul encore, avec ma gueule de moi, sans rien pouvoir y faire. Je suis moi, connement moi ». Mais cette voix-off au systématisme antipathique peut aussi se tromper, comme lorsque Xavier dit dans L’Auberge espagnole à propos de Martine : « Je savais que c’était la dernière fois qu’on s’embrassait. »

Semblant conscient de la relativité des formules énoncées en voix-off, Cédric Klapisch lui confère un rôle narratif légèrement moins déterminant dans Casse-tête chinois. Toujours présente, elle se fond pourtant dans une action et une intrigue plus denses qui laissent moins de place à la réflexion nombriliste. L’immersion dans la ville de New York permet ainsi à la mise en scène de prendre plusieurs fois le relais. Filmée de façon moins touristique que ne l’étaient Barcelone, Londres ou Saint-Pétersbourg, la ville américaine permet enfin au personnage de faire corps avec son environnement et de ne plus s’abriter continuellement derrière une voix-off qui constituait surtout une façon de garder le réel à distance. Et de ne pas grandir.

Les poupées russes
France 2 cinéma

Un amoureux immature

« J’y connais rien à l’amour moi, je suis un égoïste, je ne pense qu’à ma gueule. » Cet aveu de Xavier dans Les Poupées Russes résume assez bien le comportement maladroit voire odieux du personnage avec les femmes. Après avoir séduit une femme mariée (Anne-Sophie) dans L’Auberge espagnole, il largue Kassia (Aïssa Maïga) dans Les Poupées Russes en lui hurlant dessus : « Si ça te plaît pas, tu peux te casser. Vous me faites toutes chier, vous êtes toutes des connes ». Il cède dans le même film au règne superficiel des apparences en couchant avec le top model Célia (Lucy Gordon) et en mentant pour cela à Wendy, avec qui il sort pourtant depuis quelques jours.

Si Xavier commençait à accepter à la fin des Poupées Russes que l’amour ne peut pas « s’attraper directement, et qu’on est obligé de suivre un cheminement » en trouvant enfin un équilibre dans les bras de Wendy, le personnage vit cependant assez mal l’idée de sa séparation avec l’anglaise au début de Casse-tête chinois, après dix ans de relation. Un des enjeux du film va alors consister à faire accepter à Xavier l’idée qu’une rupture n’est pas un échec et que ses enfants peuvent aussi s’épanouir au sein d’une famille recomposée. Moins obsédé par l’idée de contrôle permanent et moins obnubilé par son désir, le personnage apprend à se laisser cueillir par l’inattendu et trouvera par là un type de bonheur inédit en laissant notamment une femme de son entourage prendre les choses en main.


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