Ces deux grands comédiens, complices à la ville comme à la scène, sont époustouflants dans Que Faire ?, un texte revigorant de Jean-Charles Massera et Benoît Lambert.Propos recueillis par Marie-Céline NivièreComment aborder cet ovni théâtral ? François Chattot sourit : « Il y a plusieurs portes d’entrée : le couple, la politique, la littérature, la musique… » Martine ajoute que lorsqu’il a été question de trouver un titre, cela a été difficile : « Cela a failli s’appeler “Les incertains”.Ce troisième volet, après We are la France et We are l’Europe, Benoît Lambert et Jean-Charles Massera auraient tout aussi bien pu l’intituler « We are the couple ». Les deux premiers faisaient un état du monde à travers la jeunesse, rappelle Martine Schambacher, alors que celui-ci change de génération : « J’ai lu ce que des lycéens avaient écrit après avoir vu le spectacle, cela donne : “c’est l’histoire de deux vieux !” et elle conclut en riant : « Tu prends ça dans les dents ! » François renchérit : « Ils sont même étonnés, nous disant qu’ils n’auraient jamais cru que l’on pouvait s’aimer à cet âge-là ! »Si le titre « Que faire ? » fait allusion à Lénine, le spectacle parle avant tout du couple. François explique que le souhait de Benoît Lambert était de faire une comédie populaire sur la vie quotidienne qui passerait par l’état du monde. « C’est l’histoire d’une émancipation, précise Martine, car on peut tous quelque chose pour nous-même. »La femme rapporte du marché « Les méditations métaphysiques » de Descartes et en lit un extrait à son époux : « Maintenant que mon esprit est libre de tous soins…, je m’appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions. » A partir de cette réflexion, le couple se lâche littéralement. « Il découvre alors qu’il a les moyens de réfléchir, s’enchante Martine. Et même s’il n’a que des petites bases, il peut se mettre au boulot. C’est une sorte d’université sur le tas et sur le tard. Pas besoin d’avoir fait Normale Sup pour se mêler de politique. Ce qui va à l’encontre du monde actuel, basé sur les experts. Aujourd’hui, le commun des mortels doit se taire… Il est considéré comme un abruti qui doit fermer sa gueule et juste mettre son bulletin de vote dans l’urne. »Dans le traitement de ce spectacle, ce qui m’a réjouie, c’est le clin d’œil au théâtre de boulevard. En employant ce ton, la pensée est célébrée joyeusement, voire naturellement. D’autant que, par l’inventivité de son jeu, Martine Schambacher fait songer à toutes ces grandes comédiennes comiques, de Maillan à Mercadier. On la verrait bien jouer avec François Chattot « Le noir te va si bien ». Elle explose de rire ! « Ça, c’est le fantasme de François ! Bien sûr qu’il y a ce ton de comédie, mais ici le couple s’engueule sur les droits de l’homme. Ce n’est plus le mari, l’amant, mais nous et le monde. » François explique que les auteurs ont réalisé un objet de théâtre non identifié et populaire qui utilise des notions profondes de politique.Ils ont tourné ce spectacle, qui a vite affiché complet, à travers la France. Les réactions du public ont été très fortes. Car l’histoire même touche tout le monde. Leurs visages s’illuminent. « C’est vrai ! Les gens sont contents d’y retrouver leurs repères. Ils ont les yeux qui brillent. Ce spectacle est à eux… » Ils ont mille et une anecdotes à raconter. Celle de ce couple timide qui les remercie et leur dit : « Cela nous a fait du bien. » Ou celle de ce jeune Marseillais plus partisan de l’OM que du théâtre de la Criée. « Sa copine avait gagné des places. Il n’avait pas envie de venir, mais il n’avait pas le choix… Il a eu très peur en lisant le programme. Il nous a arrêtés dans la rue pour nous dire combien il avait adoré le spectacle et que pendant toute la représentation, il ne pouvait pas lâcher prise et jubilait de nous écouter. Il ne voulait rien perdre de ce qui se passait sur scène, et devait lutter pour empêcher sa pensée de vagabonder au fil des associations en lien avec sa vie personnelle qui lui venaient à l’esprit pendant le spectacle. »C’est qu’il n’y a rien de didactique dans le travail de Massera et Lambert, même si on évoque Deleuze, Guattari, la Révolution Française ou « Le capital ». La raison est simple pour Chattot : « Pour Benoît Lambert, le théâtre n’est pas là pour donner une leçon ou apporter des réponses. Nul besoin, car les gens sont capables de les trouver seuls. Le théâtre lance des énergies et le public fait avec. Ici, les spectateurs sortent avec la banane. C’est un conte, une fable… Il y a un petit côté romanesque, presque comme un feuilleton, assez jubilatoire. » Martine renchérit : « Quand on aborde les droits de l’homme, mai 68, cela n’est pas pour rien, car dans la tête de mon personnage, il y a une vraie prise de conscience. A partir de ce moment-là, le désir peut émerger. Ce couple trouve, dans les livres, la force de vivre. »