Première/Chez Wam/Gaumont

C’est drôle, déjà. Mais pourquoi ?

Mise à jour du 21 novembre 2018 : Il y a quelques mois, à l'occasion de la sortie de Santa & cie, la rédaction s'était interrogée sur l'humour si particulier de son créateur Alain Chabat. Alors qu'il animera ce soir sa dernière émission du Burger Quiz sur TMC, nous ne résistons pas à l'envie de republier nos réflexions. Car depuis avril dernier, tout est réuni : les blagues enfantines (les quiz "trop mignon", par exemple), le goût des parodies (avec notamment les fausses pubs faites comme à la grande époque des Nuls), l'auto-flatterie (et l'auto-dérision, bien sûr), les questions absurdes ("Y a-t-il une vie après la mort ? Répondez oui on non par SMS pour tenter de gagner 1000 euros"), la provocation (le fameux "Arabe, Juif ou les deux ?"), les vannes balancées aux copains, les gags à répétition (le cadeau qui date des émissions de 2002, nostalgie, quand tu nous tiens !), l'envie de briser les conventions (en spoilant la fin d'un épisode en début de partie ou en chamboulant le déroulement de deux parties avec la "Burger Zone")... En attendant de le retrouver ce soir derrière le comptoir, vous reprendrez bien une dose d'"humour Chabat" ?

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Article du 8 décembre 2017 : Devant Santa & cie, difficile de résister à l’humour d’Alain Chabat. Son Santa Claus est immédiatement attachant, avec sa candeur et son côté inadapté au monde réel. Les situations qu’il crée sont tour à tour absurdes, hilarantes et douces. D’où cette question qui nous turlupine depuis la projection : mais au fait, c’est quoi "l’humour Chabat" ? C’est un humour qui évolue, mais on retrouve quand même plusieurs caractéristiques qui nous font rire à coup sûr, de Didier (1997), son premier film en tant que réalisateur, à Santa, en passant par Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002), RRRrrrr !!! (2004) et Sur la piste du Marsupilami (2012), sans oublier La Cité de la peur, comédie coécrite par Les Nuls et réalisée par Alain Berbérian en 1994, ou Wayne’s World (1992), le délire de Mike Myers dont Chabat a dirigé le doublage avec Dominique Farrugia.

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C’est un humour candide
Qu’il filme le Père Noël, le chien Didier, le Marsu hyper mignon ou Astérix et Obélix, Alain Chabat a une affection particulière pour les héros enfantins. Il joue ça à merveille lui-même ou propose à ses acteurs d’interpréter certains rôles avec candeur. Obélix n’a par exemple jamais été aussi "gamin" que dans Mission Cléopâtre. C’est d’autant plus vrai dans Santa, d’abord écrit pour les enfants : s’il y avait pas mal de gros mots dans ses premiers films et quelques délires incompréhensibles pour les gosses dans le Marsupilami, son histoire de Père Noël a clairement été imaginée pour les petits… et pour réveiller l’enfant qui sommeille dans les plus grands.

Au moment de la sortie du Marsupilami, le réalisateur expliquait justement à François Grelet dans Première qu’il prenait un soin particulier lors de la création de ses personnages quand il s’adressait aux enfants. Ainsi, pendant toute la promotion du film, il parlait de la créature de Franquin comme d’une bestiole existant bel et bien. "En fait, tout est devenu plus simple dès qu’on a réussi à en trouver un vrai...Ne sous-estimons pas les jeunes lecteurs de Première, qui n’aiment pas être pris pour des cons. Donc, soyons précis : quand le vrai Marsu était fâché – il est quand même assez capricieux –, nous faisions appel aux gens de chez BUF, qui ont créé une doublure aussi réaliste que possible en images de synthèse. Mais ce n’est pas de la promo, vous savez très bien qu’il existe. Quand je me rends à des avant-premières en province, les enfants me posent des questions très précises sur lui : « Est-ce qu’il est grand ? Est-ce qu’il est doux ? » Désormais, je fais très attention quand j’en parle. C’est important pour eux. (…) Disons que j’aime l’impolitesse des enfants lorsqu’on les met face au produit fini. En gros, s’ils s’ennuient, ils se barrent. Ça oblige à tout aiguiser en permanence – les dialogues, les angles de prises de vues, le rythme du montage... On ne peut pas les perdre dans des impros qui dureraient trop longtemps. Du coup, tout devient très contraignant et, d’une certaine manière, beaucoup plus excitant."

 


 

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Avec la sortie de Santa, Chabat reprend cette idée et joue volontiers au "vrai" Père Noël pendant les projections de presse. Il a conservé la barbe et les longs cheveux blancs du personnage longtemps après la promotion, sans doute pour faire plaisir à ses jeunes spectateurs "quoi croient en lui".

Mais c’est aussi un humour pour adultes
Des "explosions de foufounes" chez Les Nuls à "Faut se sortir les doigts de la hotte" de Santa, Chabat a aussi un goût des répliques choc qui contraste avec son côté enfantin. Toujours au cours de son interview du Marsu, il expliquait ainsi être sans cesse "tiraillé entre Hara Kiri et Walt Disney", et donnait pour exemple la scène où un chien "s’excite sur Jamel" : "On était un peu inquiets, donc on a testé la scène sur des mômes, qui étaient pétés de rire. Je ne sais pas trop pourquoi, et je ne veux pas le savoir, mais c’est tant mieux. Donc on l’a laissée. Il n’y a pas vraiment eu d’autocensure. Je respectais les codes, tranquillement. Sur la piste du Marsupilami est un buddy movie pour enfants, genre suffisamment balisé et précis pour que tu n’aies pas envie de foutre le bordel dans ton propre film. Parfois, Jamel improvisait à coups de : « Nique ta race. » Alors je lui expliquais : « C’est le Marsu, là, y a pas de “Nique ta race”. Au pire, tu le dis en palombien et c’est encore plus rigolo."

Le comédien peut aussi basculer vers un humour régressif, voire totalement scato, comme au bon vieux temps du sketch de la mouche qui pète.

 


 

Un humour emprunté aux BD
C’est évident quand on jette un œil global à sa filmo, puisqu’il a adapté FranquinUderzo et Goscinny et voulait aussi donner vie à Spirou et Fantasio, il y a quelques années. Mais l’amour que porte Chabat aux bandes dessinées se retrouve aussi dans ses films qui n’en sont pas véritablement tirés. Si dans Astérix, Idéfix avait des visions de "nonos" animés, dans Santa, le Père Noël "voit des pingouins" dès qu’il prend un coup sur la tête. Quand à Didier, il voit son maître se transformer un chien lors d’une courte séquence de morphing. Les fans de Mission : Cléopâtre peuvent même s'amuser à chercher Charlie, le personnage clé d’Où est Charlie, au milieu de la séquence "I Feel Good".

 


 

Autre élément piqué au langage particulier des BD : Chabat adore les onomatopées. Il "parle chien" ("On y va ?", lui demande Jean-Pierre Bacri dans Didier. "Whoù ?", répond-il intrigu"), il "parle renne" (et tente d’enseigner leur langage aux petits de Santa & cie), il "parle Marsu" et il parle même un peu chat (ou plutôt, le chat de Cléopâtre parle bien l’humain : "trois... mois ?"). Sans oublier qu'il a pris un malin plaisir à donner comme titre à l'un de ses films un grognement ! D'ailleurs, c'est l'occasion de rappeler que le jeu de Chabat passe aussi par sa voix, qu'il s'amuse à modifier pour pouvoir donner vie à toutes sortes de personnages, à commencer par Shrek, l'ogre ultra-populaire de Dreamworks.

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Un humour décalé, qui joue avec les conventions
Autre élément fort qu’on retrouve dans tous les films d’Alain Chabat : l’envie de briser les conventions pour faire rire de situations décalées. Dans Santa & cie, il a par exemple l’idée géniale de faire du Père Noël un être qui ne connaît rien aux enfants. "C’est pas contradictoire avec votre boulot ?", lui demande l’un de ses partenaires. Tout Didier est construit là-dessus avec ce chien transformé en homme, qui doit apprendre les bonnes manières ("On ne sent pas le cul", pour commencer). Parfois, ce décalage est sur un détail, comme quand Valérie Lemercier met seize sucres dans son café ou que les hommes préhistoriques de RRRrrrr !!! épluchent des clémentines pour ne manger que la peau. Des idées absurdes qui peuvent rappeler les meilleurs délires des Monty Python.

 


 

La Cité de la peur : cinq choses que vous ne savez pas (encore) sur la comédie culte des Nuls

Un humour rythmé par des jeux de mots "pourris"
Tout le lexique de Noël y passe dans Santa & cie, de Ralph le Renne (des neiges) à Santa qui rencontre Barbara en passant par son "ours bipolaire". Un amour des jeux de mots qui était déjà au cœur d’Astérix : "C’est un droïde", et bien sûr tous les détournements autour des prénoms en –is -ix (Otis, Nexusis, Joemannix…) ou en –us (Jeanclaudedus) ou les noms de ville ("Je connais des gens de haut rang"). Idem dans sa comédie avec les Robin des Bois, remplies de références à l’âge de Pierre : "Bonjour, Pierre !", les poulemouths, le biche volley…

Dans Didier, le registre canin était déjà bien développé. D’ailleurs, à sa sortie, Alain Chabat, qui était en couverture de Première, s’amusait auprès de Jean-Yves Katelan et Diastème du fait qu’il aurait pu encore plus "abuser" des jeux de mots qui ont du chien : "J’en ai enlevé plein ! L’autre jour, j’en avais trouvé un, et j’me suis dit : ‘Merde, celui-là, il aurait été bien.’ (…) Un que j’aime bien, c’est : ‘Il a un regard vraiment canin’. Ca ne fait pas rire du tout en plus. A chaque fois, ça fait un bide… Mais je l’aime bien."

Cet amour du jeu de mots marche aussi avec les expressions, passablement remaniées chez Chabat : "Viens me le dire de profil si t’es un homme !" s'énerve par exemple Amonbofis (Gérard Darmon), le méchant d’Astérix, "Moustache gracias" répondent les héros du Marsu ou "Vous avez vraiment la belle survie, vous !", lâche le chef des hommes préhistoriques aux glandeurs  de Rrr... joués par PEF et Jean-Paul Rouve. Les sketchs des Nuls étaient déjà remplis de ce type de détournement (Spider-Man qui a "envie de tisser", au hasard). Cela s’accompagne souvent de répliques comprises au sens propre, et pourquoi pas de petites fautes de français gentillettes, comme "-Et vous êtes ? -A l’aréoport", dans La Cité de la Peur ou "Oops, j’ai tombé" dans la traduction française de Wayne’s World.

 


 

Alain Chabat a écrit un autre film Astérix

Un humour qui se répète
"- Vous connaissez ma femme ? Elle est belle, hein."
"- Imhotep."
"- Il va faire tout noir. Ta gueule !"
"- Je suis content !"
"- Prenez un chewing-gum, Emile."
"- On ne peut pas tromper…"

On pourrait presque écrire un dialogue entier grâce aux répétitions de La Cité de la peur, Astérix etc. Le co-créateur de "Régis est un con" adore le comique de répétition. Dans Santa & cie, il est particulièrement fan d’une blague liée au Monopoly : par honnêteté, le Père Noël doit faire un double s’il veut sortir de prison "sans tricher". Ça n’a aucun sens dit comme ça, mais dans le film, la vanne revient dans plusieurs scènes, et elle fonctionne à chaque fois.

Un humour bien (auto)référencé
Astérix, surtout, est bourré de clins d’œil à la pop culture. Il y a, en vrac, des références à Star Wars ("Quand on l’attaque, l’Empire contre-attaque"), aux Bronzés, à Cyrano de Bergerac, aux chansons de Claude François, à Titanic… Dans Didier, la scène finale s’inspire autant de véritables matchs de foot que de ceux, totalement exagérés, d’Olive et Tom, et dans Santa & cie, il cite aussi bien Miss France que Shaun le mouton. Ce goût des références pop peut aussi devenir un jeu d’auto-clins d’œil avec ses fidèles spectateurs. Dans Didier, il cache par exemple le livre des Nuls dans l’appartement de Jean-Pierre Bacri, et se moque de Red is Dead, le faux film de La Cité de la peur au cours de la scène d'ouverture… en inventant pour l’occasion une fausse couverture de Première :

 

Pathé

 

Idem dans Santa, où Red is Dead est une nouvelle fois cité, au milieu d’autres concepts cinématographiques se moquant gentiment de sagas à succès comme Avengers ou Insidious.

La première apparition d’Alain Chabat ? C’était dans Série noire à 21 ans

Un humour festif
Au cinéma, Chabat veut vous faire danser, sur "Let me be your dog" dans Didier, "I Feel Good" dans Astérix ou "La Carioca" dans La Cité… Et il est impossible d’oublier "l’impro" hallucinante de Lambert Wilson reprenant du Céline Dion à la fin du Marsupilami. Allez, on ne résiste pas à l’appel de la Carioca. "Faisez tous comme moi…" :

 


 

Un humour universel
Pour finir, l’humour du créateur de Santa & cie est ouvert. Evitant tout communautarisme, Chabat s’adresse ainsi au plus grand nombre, sans jamais buter sur des questions ethniques ou religieuses. C’est en partie grâce à cela qu’il parvient, dans ce film spécifiquement, à redonner à Noël son but principal : être une fête de famille, à passer avec ses proches, plutôt qu’une fête commerciale.

Cela ne l’empêche pas de lancer parfois quelques piques contre le racisme, l’homophobie ou le sexisme. On lui avait posé la question au moment de la sortie de Didier : fait-il du cinéma engagé ? "Vous connaissez la théorie des 3D, c’est quand c’est Dansant, quand ça Déconne et quand ça Dénonce. Dans Didier, c’était difficile à traiter, ces putains de skins : On est passé par plein de trucs en finissant avec des pirates d’Astérix qui arrivent, qui se prennent une tannée et qui repartent. Il y a mon petit message politique à moi, qui, j’espère, ne gêne pas la lecture. D’ailleurs, les skins sont, selon moi, moins « message » que le racisme ordinaire, antipédés, antinègres. Ca me plaisait plus de faire parler des mecs normaux, qui passent et disent en déconnant : ‘Ca va les pédés, on s’éclate ? » ou qui disent, entre Blancs, ‘ce gentil sauvage’ en parlant d’un Noir. Comme le dit Bacri dans le film : ‘On n’est pas ‘obligé’ de dire ‘con de nègre !’’ Ca prend pas plus de place que ça, mais ça me plaisait bien de le dire."

C’est un humour qui évolue
Si "l’humour Chabat" n’est pas simple à définir, c’est logiquement parce qu’il évolue au fil du temps. Santa & cie peut sembler plus "gentil" plus "gamin" que les sketchs originaux des Nuls, mais ce n’est pas forcément un défaut, car on sent que ce ton familial était au cœur du concept. Comme le côté "bordélique" du Marsupilami était en partie dicté par le caractère particulier du personnage : "C’est lui qui cristallise le plus l’essence de l’esprit Franquin, nous détaillait-il à sa sortie. Il représente une certaine idée de la liberté. Les autres animaux emblématiques de la pop culture, comme Milou ou Rintintin, comprennent ce que leur disent les humains et s’exécutent. Avec le Marsu, c’est différent. Déjà, tu ne sais pas vraiment s’il comprend tout, et même si c’est le cas, il ne va pas forcément faire ce que tu lui demandes. Il peut s’arrêter en route, bouffer un piranha ou rester ébahi devant une fleur alors que Spirou est en danger de mort."

Alain Chabat parle d’Astérix : "Même si ça a l’air d’être le bordel, c’est quand même un peu précis"

Santa & cie vient de sortie en DVD. Bande-annonce :