Autopsie d'un meurtre
D.R

Ce soir OCS Géants diffuse l’un des plus grands films de procès de tous les temps. C’est aussi et surtout une représentation de la perfection cinématographique.

On peut raisonnablement affirmer que les années cinquante (et le tout début des sixties) marquent une sorte de quintessence de l’art cinématographique. Le cinéma a alors connu sa dernière grande révolution technique avec le Cinemascope qui élargit le cadre et lui donne une majesté que tous les procédés à venir (IMAX, 3D…) n’arriveront jamais à égaler. Les « grands » auteurs (Hitchcock, Preminger, Wilder, Hawks, Ford, Walsh, Mann…) nés pour la plupart avec le cinématographe, en ont connu toutes les révolutions et les évolutions qu’ils magnifient à l’écran, pulvérisant tout classicisme. Chacun à sa manière continue ainsi d’interroger son médium et pousse la représentation vers un acmé indépassable (le Vertigo d’Hitchcock bien-sûr mais aussi L’homme qui tua Liberty Valence de Ford, Rio Bravo de Hawks ou encore L’invraisemblable vérité de Lang). Autopsie d’un meurtre est un des modèles de cette apogée. Un statut que son noir et blanc, utilisé à une époque où règne en maître le Technicolor viendrait presque contrarier. Il n’en est bien-sûr rien.

Le film est signé Otto Preminger, un autrichien formé auprès de Max Reinhardt, arrivé aux Etats-Unis aux débuts des années trente pour ne plus les quitter. En 1959, c’est un maître, celui de Laura, Max Dixon détective, La rivière sans retour, L’homme au bras d’or… Dès le générique, on sait que l’affaire qui s’annonce sera exceptionnelle : Un film d’Otto Preminger donc, avec James Stewart à peine redescendu des plaines d’Anthony Mann et des vertiges d’Hitchcock ; music conducted and arranged by Duke Ellington ; et un graphisme arty conçu par Saul Bass. On pourrait ajouter à ce big band, le nom du chef op Sam Leavitt qui avait déjà fait des merveilles en noir et blanc pour Preminger avec L’homme au bras d’or et travaillera dans la foulée avec Sam Fuller pour The Crimson Kimono, « petit » thriller d’une modernité folle.

Manipulation sur un échiquier

Autopsie d’un meurtre est un film de procès, un genre en soi, où tout est affaire de point de vue, d’éléments de langage et qui permet d’ausculter en profondeur la notion même de regard. Porte ouverte au méta-cinéma, dans l’arène judiciaire se joue une certaine idée de la morale - chrétienne ici puisque nous sommes dans une Amérique provinciale fifties -, de la vérité – subjective par essence que la mise en scène s’emploie à agencer – et d’un espace sans cesse redistribué en fonction de la parole donnée. C’est tout ça que Preminger déploie et éprouve magistralement.

Il y a d’abord ce prologue où Paul Biegler, avocat en semi-retraite un peu dans la lune (Stewart à son meilleur) se retrouve faute de mieux impliqué dans cette tristement banale affaire de viol et de vengeance. D’emblée, l’homme de loi façonne comme il l’entend l’accusé (le tout jeune Ben Gazzara) et la victime (la subtile Lee Remick), décidant de l’apparence qu’ils doivent donner d’eux-mêmes. Paul Bielger, le sait, tout ne sera ensuite que manipulation sur un échiquier. Tout ne sera que cinéma. C’est à l’avocat-réalisateur de savoir placer ses pions.

La lumière déplace les ombres

Une fois cette exposition passée, rythmée par les accents jazzy du Duke, place au procès. Preminger à l’aide d’une mise en scène déconcertante de précision, envoûte un spectateur désarmé. Dans Autopsie d’un meurtre, l’idée n’est pas tant de savoir où se situe la vérité, ni de faire triompher le bien contre le mal (quoiqu’un peu) mais de mettre à jour la personnalité des uns et des autres. La lumière déplace ainsi les ombres pour les anéantir et ne rien ensevelir dans le cadre. Ainsi, la seule fois où l’avocat de la partie adverse (George C. Scott dans l’un de ses premiers rôles) tente de masquer un témoin au regard de Biegler, ce dernier parvient à stopper immédiatement l’odieux subterfuge. Pas de hors champ écrasant donc, ni de contrastes mais une pleine lumière censée percer le mystère des images.

Preminger se projette évidemment en Stewart et regarde ce monde fabriqué avec ses yeux de cinéaste. Autopsie d’un meurtre est bien un film de cinéma sur le cinéma, à un moment où cet art s’apprête à basculer dans une autre ère, celle de l’image télévisuelle et publicitaire qui incitera à voir les choses encore autrement.

 

Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger, ce soir à 20h40 sur OCS Géants