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A voir à la Cinémathèque française jusqu'au 1er avril.

Joe Dante est à Paris pour inaugurer deux événements à la Cinémathèque française : le Festival "Toute la mémoire du monde", d’abord, une avalanche de films restaurés à savourer jusqu’au 5 mars, puis sa propre rétrospective, ensuite, qui dure elle jusqu’au 1er avril. Au-delà des classiques inoxydables de sa production eighties (Gremlins, Explorers, L’Aventure intérieure), c’est l’occasion de découvrir plein de pépites oubliées. Parce qu’à force de bides injustes, de séries télé avortées et de bizarreries à peine diffusées, le maverick Dante s’est en effet construit une véritable filmo parallèle au moins aussi excitante que l’officielle. Voici l’itinéraire bis de la rétro Dante, commenté par l’intéressé.

The Second Civil War (1997)

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Téléfilm HBO en forme de charge politique féroce, racontant la sécession du gouverneur de l’Idaho, qui ferme les frontières de son Etat pour ne pas avoir à accueillir un charter de réfugiés pakistanais. Attention : toute ressemblance avec l’Amérique de Donald Trump ne serait qu’une preuve du génie visionnaire de Joe Dante.
"C’est vrai que le film donne l’impression d’avoir été tourné la semaine dernière. Rien n’a changé depuis – à part la taille des écrans de télé. L’intrigue était très exagérée en 1997 mais paraît plutôt réaliste aujourd’hui. C’est comme Un homme dans la foule ou Network : c’étaient des farces à l’époque de leur sortie mais on les regarde désormais comme des documentaires. HBO a quand même eu un problème avec le ton du film. Ils espéraient une comédie – et le film a ses moments marrants – mais le propos est sombre et la fin tragique. Ils auraient dû s’y attendre, vu que tout était dans le script. Ils ont organisé une projection test à leur siège, devant un panel d’une trentaine d’abonnés. Tout le monde a passé un bon moment, mais au moment de quitter la salle, ils ont tous mis une mauvaise note. Parce que c’était tout simplement trop déprimant ! Les huiles de HBO ont rajouté un épilogue humoristique censé détendre l’atmosphère. Je détestais ça, mais je n’ai pas eu mon mot à dire."
Séances : le samedi 4 mars à 14h, le dimanche 19 mars à 14h30.

Police Squad (1982)

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Six ans avant Y a-t-il un flic pour sauver la reine ?, la naissance télévisée de Frank Drebin, le flic le plus gaffeur de l’histoire. Un chef-d’œuvre absolu, flingué par ABC au bout de six épisodes.
"Les ZAZ sortaient du carton de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et ils ont imaginé cette parodie d’une série policière des années cinquante avec Lee Marvin, M Squad. Ils pensaient que ce serait encore plus rigolo si Police Squad avait un look un peu rétro. Ils ont réalisé l’épisode 1, moi le 2. Mais le problème, c’est que quand les spectateurs allumaient la télé, ils ne comprenaient pas tout de suite que c’était une comédie, ils pensaient tomber sur la rediffusion d’un vieux truc des sixties. Du coup, ils zappaient. S’ils étaient restés cinq minutes de plus, ils auraient pigé. Même Leslie Nielsen n’était pas un indice suffisant, vu qu’il avait encore une réputation d’acteur straight à l’époque. ABC a sabordé le show. Le dernier épisode a été diffusé six mois plus tard, dans l’indifférence générale, pour boucher un trou entre deux programmes. Les ZAZ ont ensuite décliné le personnage au cinéma avec les Y a-t-il un flic… mais j’ai toujours préféré la série. C’est plus facile d’être drôle en 20 minutes qu’en 90. Quoi qu’il en soit, j’ai adoré bosser là-dessus. Leslie Nielsen aussi : il s’inventait une deuxième carrière et s’amusait comme un fou. Il se promenait partout avec sa "fart machine", sa boîte à prout. Vous savez, on appuie sur un bouton, et… prout ! Son grand truc, c’était de faire ça dans un ascenseur bondé, les gens se retournaient, et il pointait du doigt son voisin en prenant un air super choqué… Ahahahhaha ! Quel génie."
Séances : le mercredi 15 mars à 17h, le lundi 27 mars à 19h30.

Marshall & Simon (1991)

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Dans un bled du Midwest (Eerie, Indiana, le titre en V.O.), deux gamins enquêtent sur des phénomènes paranormaux. Autre série tuée dans l’œuf faute de spectateurs, une merveille encapsulant parfaitement l’esprit Amblin, et la matrice secrète de Stranger Things
"Deux auteurs, Karl Schaefer et José Rivera, étaient venus me voir avec ce super concept : deux gamins se rendent compte que leur petite ville de province est le centre secret de plein de phénomènes occultes, impliquant aussi bien Bigfoot qu’Elvis ou les soucoupes volantes. C’était un X-Files junior… mais avant X-Files ! Vraiment charmant, très en avance sur son temps. NBC était tellement emballé qu’ils l’ont programmée le dimanche soir face à 60 Minutes. Soit l’émission la plus populaire d’Amérique ! Forcément, ça s’est planté. Ils nous ont coupé les vivres. On a quand même eu le temps de tourner un dernier épisode méta, dans lequel le personnage principal se réveille et découvre qu’il joue dans une série sur le point être annulée. Je jouais mon propre rôle. Assez mal, d’ailleurs, malgré une vie entière de répétitions… Quelques années plus tard, ils ont rediffusé la série le samedi matin et là, ça a été un triomphe. Les gosses adoraient ça. Dommage que le négatif n’ait pas été conservé, on ne pourra jamais proposer une édition blu-ray digne de ce nom."
Séances : le lundi 6 mars à 17h, le samedi 25 mars à 20h. 

The Movie Orgy (1968)


Collage dingo et gargantuesque (durée : 4h30 !) d’extraits de séries B ou Z, de bandes-annonces, de vieilles émissions télé, de clips de prévention anti-atomique, que Joe Dante faisait tourner sur les campus US de la fin des sixties.
"C’était du mash-up, bien avant que le mash-up n’existe. Je faisais la tournée des campus avec ce film, c’était vraiment le truc parfait à regarder défoncé, et comme en plus j’avais réussi à me faire sponsoriser par une marque de bière, les gens passaient vraiment une très bonne soirée. Une partie de la séduction venait du fait que le film était truffé de vieux shows télé, des trucs de notre enfance, et que c’était le seul moyen de les revoir. Puis les années ont passé, je suis passé à autre chose, et un jour j’ai retrouvé le film dans ma cave. J’ai organisé une projection au New Beverly de Los Angeles, un cinéma mi-art et essai, mi-grindhouse, et ça a été un hit ! Plein de réalisateurs amis sont venus, on a passé un super moment. J’ai compris qu’avec le temps, le film était devenu culte. Genre "le film que tout le monde a vu défoncé dans les sixties et dont personne ne se souvient !" Depuis, on organise des projections un peu partout, jusqu’au Museum of Modern Art. Beaucoup de choses qui nous faisaient rire à l’époque sont aujourd’hui complètement incompréhensibles pour le public moderne, le message anti-guerre est très daté, mais les gens ont quand même l’air de s’amuser. Là, la Cinémathèque fait très fort parce que non seulement ils projettent The Movie Orgy, mais ils le font en plus au sein d’un triple programme, avec Hollywood Boulevard et Piranhas ! Huit heures en tout ! C’est de la folie pure. Qui va avoir le courage de regarder ça ?!?"
Séance : le samedi 4 mars à 23h

Panique sur Florida Beach (1992)

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Le chef-d’œuvre de Dante, une ode aux films de monstres des années cinquante et à l’Amérique de son enfance, tellement vénéré par le fan-club qu’on a hésité à le ranger parmi ses "trésors cachés". Joe ?
"Trésor, je sais pas, mais "caché", ça oui ! J’aurais bien aimé qu’il ait plus de succès. C’est un film très personnel. Pas autobiographique au sens strict, mais j’étais là pendant la crise des missiles de Cuba, je me souviens qu’on est sorti de l’école le vendredi en se disant qu’on ne reviendrait peut-être pas lundi, parce qu’il n’y aurait plus rien du tout lundi ! C’était une époque totalement paranoïaque. Quand un avion passait au-dessus de nos têtes, on s’attendait à ce qu’il largue une bombe. On faisait ces exercices idiots où l’on devait se coucher sous nos pupitres. C’est un film absurde, parce que l’époque était absurde. Et si tout y sonne si juste, c’est parce que tous les accessoires du film viennent de chez moi : ce sont mes posters, mes dessins, mes magazines de monstres que l’on voit. J’ai tout mis dedans : l’art, la vie, la peur, et l’amour du cinéma."
Séance : le samedi 11 mars à 21h

Festival Toute la mémoire du monde, jusqu’au 5 mars.
Rétrospective Joe Dante, jusqu’au 1er avril.

Infos sur www.cinematheque.fr