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Les Films du Losange
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11 jours de festival. 21 films en competition – des chef-d’oeuvres et un nanar. 2427 minutes passées dans les salles obscures. Alors que le 69ème festival de Cannes s’achève, on a réussi l’impossible : classer le cru 2016 du pire au meilleur.

The Last Face (Sean Penn)
Sur le papier, le dernier Sean Penn faisait un petit peu peur (une romance « médecins du monde » entre Javier Bardem et Charlize Theron sur fond de guerres africaines), mais on avait quand même très envie de voir le nouveau long du réalisateur pas manchot de The Indian Runner et Into The Wild. Bon, comme vous le savez peut-être, c’est un naufrage, bête, moche, empestant le glamour rance et confondant d’ethnocentrisme. Bonnet d’âne (mérité) selon la presse internationale unanime. The Last Fail. 

Ma’ Rosa (Brillante Mendoza)
Avec ses personnages génériques, son absence totale de dramaturgie et ses velléités vaguement néoréalistes en guise de cache-misère, Ma’ Rosa représente une idée de cinéma qu’on n’apprécie pas spécialement par ici. Et étant donné que les thuriféraires de la superstar du cinéma philippin nous ont par ailleurs confirmé que c’était un tout petit Mendoza, on zappe sans complexe. Au suivant !

Personal Shopper (Olivier Assayas)
Un traité fumeux sur les fantômes, le shopping et les SMS. Du Assayas tellement obsédé par la modernité qu’il paraît déjà périmé. Une seule satisfaction à l’arrivée : l’aura glamour de K-Stew en sort indemne. Ouf ! 

Moi, Daniel Blake (Ken Loach)
Ken Loach avait annoncé son départ à la retraite après le joli Jimmy’s Hall. Il aurait mieux fait de ne pas changer d’avis : Moi, Daniel Blake est clairement le film de trop pour lui et son scénariste Paul Laverty, un « worst of » de leurs pires penchants sentimentalistes et démagos. Certes, on pourrait applaudir la capacité d’indignation inentamée du cinéaste, ou son talent pour caster des trognes irrésistibles (Dave Johns, dans le rôle-titre) mais c’est difficile à faire quand on vient de se faire assommer par une tonne de pathos. 

La Fille inconnue (Luc et Jean-Pierre Dardenne)
Après Marion Cotillard, Adèle Haenel. Après la mécanique de western de Deux jours, une nuit, le procedural sociétal. De l’avis général, c’est un petit cru, sentiment accentué par le défilé, tout au long du film, des usual suspects dardenniens (Oliver Gourmet, Jérémie Rénier, Fabrizio Rongione…). Les frangins de Liège sont sur pilote automatique, il va falloir qu’ils réinventent leur système. Avec une série comique pour Arte ? Un blockbuster en Amérique ? Tout sera bon pour mettre fin au ronron. 

Le Client (Asghar Farhadi)
Le délitement d’un couple, des métaphores à base de maisons qui s’effondrent ou s’effritent, une mécanique de thriller, un dernier plan qui claque : Asghar Farhadi récite sa leçon et refait Une Séparation – en moins bien. Gros professionnalisme, absence totale de surprise : appelons ça le syndrome Dardenne.   

Juste la fin du monde (Xavier Dolan)
Xavier Dolan s’essaye au genre très français du dîner de famille avec casting de stars – Ulliel, Cotillard, Cassel, Seydoux, Baye. Le résultat est plat, assez ingrat, cent coudées en-dessous du ravageur Mommy. Le plus étrange ? Découvrir un opus du Québécois tête à claques qui ne provoque aucun sentiment extrême. Ni amour fou, ni détestation excessive. Quelques jours après sa projection, le film était pourtant encore dans toutes les têtes, dans beaucoup de conversations… Et il se murmure qu’un émissaire de Première en est sorti en larmes. Ce film-là, c’est sûr, il faudra le revoir à Paris…

Sieranevada (Cristi Puiu)
Pendant 2h53, on regarde une famille roumaine sur le point de passer à table. Comme dans La Mort de Dante Lazarescu, son premier long (très très long), Cristi Puiu vise à l’agonie du spectateur. La gestion qu’il fait de l’espace (un trois-pièces cuisine peuplé d’une douzaine de personnages captés en plans-séquences) est assez ahurissante. Mais on peut quand même regretter que la durée ne soit jamais justifiée par le propos (une réflexion assez convenue sur un Occident encore traumatisé par la fin des grandes idéologies). 

Mal de Pierres (Nicole Garcia)
Les critiques de cinéma un peu snob (pléonasme ?) ont séché en masse la projection matinale du Nicole Garcia – le genre de parangon de la « qualité française » que les festivaliers accueillent traditionnellement en se pinçant le nez. Mais selon notre téméraire envoyé spécial au Grand Théâtre Lumière, les absents ont eu tort : dans le genre, c’est du mélo costaud, classique, solide. Et Cotillard impressionne, comme (presque) toujours, poursuivant son hallucinant grand chelem cannois entamé en 2012 – De rouille et d’os, The Immigrant, Deux jours, une nuit, Macbeth. Quelqu’un finira bien par songer à lui donner un prix d’interprétation. 

The Neon Demon (Nicolas Winding Refn)
Vide, creux, toc, con ? Un peu, oui. Mais également marrant, sexy, érectile, hypnotique. Entre la pure séduction plastique et la furie kamikaze, entre Drive et Only God Forgives, The Neon Demon est le nouveau trip déceptif-agressif de Nicolas Winding Refn, et restera dans les mémoires comme la grande récré de ce Cannes 2016. On a aimé, on a détesté, on a aimé détester. Encore plus important : on a bien rigolé. 

Loving (Jeff Nichols)
Celui-ci, on aurait adoré l’adorer. La première scène du film, magnifique, déchirante (quelques mots d’amour dans la nuit des fifties) témoigne d’ailleurs de l’altitude à laquelle Jeff Nichols est capable de planer. Mais l’essentiel de cette love story sudiste est comme engourdi, ankylosé, terriblement mou. Trop frustrant en regard de l’immense mythologie qui palpite à l’arrière-plan du film, et des espoirs fous qu’on place en Jeff. 

Rester Vertical (Alain Guiraudie)
Après le triomphe de L’inconnu du lac, Rester Vertical est très clairement pour Guiraudie un film de crise – l’histoire d’un cinéaste qui rumine son prochain film et trouve toujours un prétexte pour ne pas l’écrire. Un joli tableau d’une masculinité contemporaine en déroute, qui comporte au moins une des scènes les plus dingos de cette édition (une tendre euthanasie par sodomie sur fond de rock progressif). Mais on ne peut pas s’empêcher de penser que Guiraudie et Cannes ont raté leur rendez-vous : c’est vraiment L’inconnu du lac qui aurait dû être en compète… 

Paterson (Jim Jarmusch)
LE film qui divise la rédac (il en faut bien un). Le réal’ new-yorkais aux cheveux blancs est-il l’empereur du haïku cinématographique ou le Philippe Delerm de la culture rock ? Son Paterson est-il un sommet de poésie zen ou une balade soporifique dans un petit mausolée contre-culturel ? On était encore en train d’en débattre quand, quelques jours plus tard, Gimme Danger, son excellent doc sur Iggy et les Stooges présenté hors compète, a fini par tous nous mettre d’accord. Jarmusch forever, malgré tout. 

Baccalauréat (Cristian Mungiu)
Le nouvel opus du wonderboy du cinéma roumain (palmé d’or pour 4 mois, 3 semaine, 2 jours) est une sorte de fresque de poche : quelques jours dans la vie d’un quadra qui va multiplier les choix douteux, les petites erreurs crapuleuses, et vaciller dans le regard de sa fille de 18 ans. A mi-chemin des bons Dardenne et des grands moralistes du cinéma rital, parfois à la lisière du fantastique, un tableau de la déliquescence occidentale qui tape fort et souvent juste. Seul bémol : l’impression d’être devant la copie d’un très bon élève qui ambitionnerait surtout d’impressionner ses professeurs (les membres du jury). L’inconscient de Mungiu a d’ailleurs dû parler quand il a choisi le titre de son film. 

Ma Loute (Bruno Dumont)
P’tit Quinquin puissance 10. Burlesque, méchant, sublime, dérangeant, unique. Un très gros morceau de cinéma qui veut réconcilier les contraires : les stars et les anonymes, le beau et le bizarre, la marge et le mainstream. Ex-cinéaste cannois officiel, « rétrogradé » ensuite à Un certain regard (Hors Satan) et la Quinzaine des Réalisateurs (Quinquin), Dumont retrouve la compète et son rang : haut, très haut. 

Julieta (Pedro Almodovar)
Un chef-d’œuvre un peu déroutant, parce que très austère, très minimaliste. Mais un chef-d’œuvre quand même, où Pedro parvient à l’épure, et atteint le cœur battant de ses obsessions. Tous les motifs de l’œuvre sont là (les récits enchâssés façon poupées russes, l’ombre d’Hitchcock…) mais soudain réduits à leur essence. C’est un miracle de sophistication qui ne se présente jamais comme tel. Du grand (almodov-)art. 

Tony Erdmann (Maren Ade)
Le conflit des générations raconté à travers la relation foldingue entre une executive woman trop coincée et son papa déjanté, sorte de croisement entre Jerry Lewis et Andy Kaufman, qui se promène partout avec une perruque, un dentier, un coussin péteur et une râpe à fromage (ne cherchez pas, ce serait trop long à expliquer). Un véritable ovni venu d’Allemagne, un truc totalement singulier, à hurler de rire et d’une intelligence redoutable. Malgré les scories (la durée inexplicable de 2h40, la photo bien moche…), la grosse révélation du Festival. 

Aquarius (Kleber Mendonça Filho)
L’un des plus beaux « portraits de femme » (comme on dit) de la 69ème édition (qui en comptait un paquet). La résistance d’une sexagénaire sexy face aux promoteurs immobiliers qui veulent la virer de son appartement. Parcouru de bouffées paranos, irrigué par un soundtrack somptueux, d’une incroyable richesse thématique, Aquarius confirme la maturité impressionnante du Brésilien Kleber Mendonça Filho. Ce n’est que son deuxième film (après la darling critique Les Bruits de Recife), mais toute l’internationale cinéphile a désormais les yeux braqués sur lui. 

Elle (Paul Verhoeven)
Verhoeven sur les terres de Chabrol et Haneke ? Un rape and revenge avec Isabelle Huppert, Charles Berling et Laurent Lafitte ? On redoutait le « grand film malade » de vieux cinéaste en exil, mais le Hollandais violent s’est débrouillé pour dynamiter le cinéma français de l’intérieur. Elle est violent, teigneux, jouissif, méchant, très drôle. L’auteur de Showgirls bande encore et achève Cannes 69 dans un grand éclat de rire sardonique. Vive lui. 

Mademoiselle (Park Chan-wook)
Après une expérience décevante aux Etats-Unis (Stoker), Park retrouve son meilleur niveau (celui de Old Boy), avec ce film d’arnaque rutilant, qui fait déferler violence sadienne, humour à froid et visions érotiques inoubliables. On notera pour le plaisir que la Corée était en pleine bourre cette année - The Strangers, le très allumé nouveau film de Na Hong-jin (The Chaser), aurait clairement mérité la compète. En double programme avec Mademoiselle, ça aurait en tout cas eu une sacrée gueule. 

American Honey (Andrea Arnold)
Une déflagration pop affolante, qui a bizarrement laissé indifférente la quasi-totalité de la presse française. Un conte crasseux sur les enfants perdus de l’Amérique d’Obama, road-movie white-trash gorgé de rap hardcore, de folk lyrique et de R’n’B de supermarché. Un casting fou (Shia LaBeouf, Riley Keough, l’inconnue Sasha Lane) y bouffe le bitume pendant près de trois heures, la boule au ventre, direction le néant. Chef-d’œuvre, Palme Première et, on l’espère, futur totem générationnel.  

On a classé tous les films de la compétition.

11 jours de festival. 21 films en competition – des chef-d’oeuvres et un nanar. 2427 minutes passées dans les salles obscures. Alors que le 69ème festival de Cannes s’achève, on a réussi l’impossible : classer le cru 2016 du pire au meilleur.