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Formidable dans The Lobster, Ariane Labed est l’actrice française qui monte. On l’a joint par téléphone entre deux séquences d’Assassin’s Creed, blockbuster prévu pour fin 2016 qu’elle tourne actuellement aux côtés de Michael Fassbender et Marion Cotillard.

Ariane Labed a une trajectoire peu commune. Élevée entre la Grèce, l’Allemagne et la France, cette ancienne danseuse convertie au théâtre a débuté au cinéma à 26 ans, en 2010, dans Attenberg, film d’auteur grec sur lequel elle rencontra son futur époux, Yorgos Lanthimos -qui y tenait un second rôle. Révélé un an plus tôt par Canine, le même Lanthimos -réalisateur avant tout- incarne à lui-seul le renouveau du cinéma grec qui s’invite désormais dans les grands festivals internationaux. Sous sa direction, Ariane Labed, révélée entre-temps au grand public par son rôle de mécanicienne de cargo dans Fidelio, l’odyssée d’Alice, a tourné Alps et, enfin, The Lobster, présenté cette année à Cannes dont il est reparti avec le Prix du Jury. Dans cette fable futuriste grinçante où les célibataires doivent trouver des conjoints sous peine d’être transformés en animaux, elle incarne une femme de chambre particulière qui gère aussi bien les réclamations des clients d’un hôtel que leurs besoins sexuels.

 

The Lobster est un film international, qui mélange des acteurs de tous horizons. Vous deviez être dans votre élément, vous la globe-trotter ?

(rires) J’ai adoré ce côté cosmopolite sur le tournage : j’étais entourée de Grecs, de Français, d’Irlandais, d’Anglais, d’Américains… Je pense que c’est une force pour le film, ça lui donne une tonalité particulière.

 

Comment travaille-t-on avec son mari sur un tel projet ? Écrit-il dans son coin ou avez-vous un droit de regard sur le scénario et sur les personnages ?

Pas un droit de regard, non. J’ai plutôt, disons, un rôle consultatif. Comme on vit ensemble et que tout tourne autour du cinéma dans notre couple, on échange forcément beaucoup. Sur The Lobster, en particulier, j’ai demandé à suivre plusieurs étapes du projet parce que la mise en scène m’intéresse à terme.

 

À aucun moment, vous ne lui avez dit, « tiens, ce rôle-là m’intéresse » ?

Je ne pensais même pas être dans le film. C’est lui qui, à un moment, m’a demandé si ça m’amuserait de jouer cette bonne. 

 

Ce rôle de soubrette, à la fois bienveillante et perverse, est-ce un fantasme de votre mari ?

On ne me l’a jamais posée celle-là ! (rires) Pas du tout, mais je devrais peut-être me pencher sur la question… En même temps, chaque personnage du film est un peu spécial, non ?

 

Oui. C’est un film très bunuelien.

Yorgos l’admire. Il influence évidemment son travail.

 

Comment avez-vous défini votre personnage ? Il est très visuel.

Il était écrit comme ça. J’avais compris qu’il y avait une part de mystère chez elle, qu’elle devait rester une présence insolite tout du long. Elle représente une alternative possible dans chacun des deux mondes décrits, celui de l’hôtel et celui de la forêt. C’était intéressant de la faire voyager de l’un à l’autre.

 

Ce personnage s’inscrit de façon cohérente dans votre courte filmographie, où vous jouez beaucoup de votre corps, d’une certaine forme de décalage.

Je pense que ça vient de la danse, que j’ai longtemps pratiquée. Quand j’ai arrêté, j’ai monté une compagnie théâtrale où l’on se basait beaucoup sur le physique. C’était plus proche de Pina Bausch que de Molière, pour simplifier ! Au cinéma, j’essaie de garder la même logique de danseuse et je choisis mes rôles en fonction de ça. La psychologie me parle moins, même si ça fait partie de mon bagage d’actrice.

 

Vous avez également un rapport à la nudité assez décomplexé. Avez-vous l’impression d’appartenir à une nouvelle génération d’actrices -je pense à Vimala Pons en vous voyant- qui se réapproprie sa féminité ? Une féminité plus conquérante, plus assumée.

Je n’ai pas l’impression qu’il y ait quelque chose à gagner, j’étais déjà comme ça quand j’ai débuté. Ce n’est pas non plus une question de féminité. J’ai par exemple beaucoup d’estime pour Denis Lavant dont la matière première est son corps. Le fait que je sois une femme trouble peut-être l’image des actrices qui ont tendance à choisir ce qu’elles donnent ou ce qu’elles ne donnent pas. Moi, je considère mon corps comme un outil. Je ne veux rien m’interdire.

 

Votre « outil » s’adapte merveilleusement aux films de votre mari, mais aussi à ceux d’Athina Rachel Tsangari qui vous a fait débuter au cinéma dans Attenberg. Avez-vous le sentiment d’accompagner une Nouvelle Vague grecque ?

Je ne suis pas certaine qu’elle existe. Ce qui est sûr, c’est que le succès de Canine (2009) a attiré l’attention sur la Grèce et sur son cinéma, fait par des gens très différents qui ont un point commun : ils pensent le cinéma comme un espace de création où l’on peut encore tout inventer. C’est pour ça que je me suis reconnue en eux.

 

On pourrait définir ce cinéma par un sens de l’absurde et du nihilisme. Est-ce le reflet de la société grecque ?

L’état chaotique de la Grèce, qui n’appartient plus vraiment à ses habitants, incite sans doute les artistes à créer des univers tragi-comiques qui leur permettent d’évoquer cette problématique sans être trop plombants. Après, ce sont des films très ouverts qui, je pense, parlent à tout le monde.

 

Le film a obtenu le Prix du Jury à Cannes. Comment avez-vous vécu ce moment ?

C’était compliqué. J’étais en plein tournage quand Yorgos a appris la nouvelle et, grâce à une productrice très sympa, j’ai pu prendre un avion à la dernière seconde pour le rejoindre. J’ai loupé la cérémonie mais je voulais absolument fêter ça auprès de lui. C’était très beau et inespéré car on ne pensait même pas aller à Cannes.

 

Votre parcours est atypique, vous citez Bresson… Ca vous embête si je vous dis que vous avez une image d’intello ?

Ce n’est jamais mauvais d’être intelligent, non ? (rires) J’ai commencé auprès de cinéastes qui ont des univers bien à eux qu’on pourrait, comme vous dites, qualifier « d’intello », mais j’aime aussi les grosses machines.

 

À ce propos…

Je suis en plein tournage d’un gros blockbuster, oui…

 

J’y venais. Comment êtes-vous arrivée sur Assassin’s Creed de Justin Kurzel ?

C’est assez drôle. Justin avait vu Alps de Yorgos dans lequel je jouais une gymnaste. On s’était rencontrés à l’époque et il m’avait dit qu’il aimerait beaucoup travailler avec moi un jour… J’ai passé deux auditions pour Assassin’s Creed, persuadée de ne pas avoir le profil requis par le studio (la Fox). Il faut croire que Justin a su les convaincre ! Ca m’amusait beaucoup de jouer devant des fonds verts, de faire des combats… Finalement, ça rejoint mes aspirations.

 

Quel est votre rôle ?

Je n’ai pas le droit de le dire… C’est un petit rôle, très physique.

 

Ça se passe bien avec Michael Fassbender et Marion Cotillard ?

Je n’ai malheureusement pas de scènes avec Marion. Je m’amuse beaucoup avec Michael. On fait des combats essentiellement.

 

J’aurai quand même appris que vous vous battez contre lui.

Pas contre. Avec. (elle sourit)

 

@chris_narbonne